Critique de Signalis : fantôme dans la machine

A ceux d’entre nous qui ont aimé les survival-horror des années 90, Signalis semblera d’emblée très familier, et pour cause : ses concepteur.ices (qui, à deux, forment le studio rose-engine) en sont de grand.es nostalgiques. Leur projet avec Signalis est évident : leur jeu entend renouer avec le charme et la crispation spécifique que ses modèles savaient inspirer, laquelle devait autant au mode de contrôle rigide de leur personnage (façon « tank », disait-on à l’époque), qu’à des graphismes à la 3D primitive, tirant des limites de leur compte polygonal un certain art de la forme imprécise et inquiétante, dont notre imaginaire devait combler les manques.

Dans Signalis, on incarne une androïde complètement paumée, tant dans l’espace (sur une planète inconnue, dans une mystérieuse base souterraine) que dans sa propre tête, ses souvenirs se révêlant illusoires et son brouillard mental finissant par s’étendre à son identité même. Si la narration cryptique prend des tours et détours pas simples à suivre jusqu’au bout (on a fini par décrocher), ses questionnements métaphysiques – sur ce qui constitue une personne, sur le lien entre identité et mémoire … -, typique d’une certaine S.F. « robotique », stimulent pendant une bonne partie de l’aventure.

Sur le plan ludique, Signalis s’inspire des premiers Resident Evil dont il reprend les gameplays de tir et de déplacement un peu raides (à dessein, pour la tension ludique qu’ils suscitent), ainsi que les puzzles qui structurent la progression. Ces énigmes filées s’appuient sur une mécanique de manipulations d’objets souvent employée dans d’autres survival-horror, mais que Signalis utilise astucieusement à des fins narrative et, pour ainsi dire, de manifestation « matérielle » de son monde. A travers ce mode de « manipulation » en effet, c’est tout un arrière-monde qui se cristallise localement, sous la forme condensée de l’bjet fictif en 3D, observable sous tous les angles, avec sa forme, sa texture, sa fonction souvent mystérieuse – enjeu de l’énigme à laquelle il est rattaché -, dont l’observation excite l’imagination. Ce fort effet de contraste « matériel » s’active aussi lors des flashbacks vécus à la première personne, en pleine 3D, qui donnent l’impression que les « règles de la représentation » sont devenues instables, susceptibles de glissements entre les différents modes, entre vue isométrique et 3D, reflet du fait que le rapport au monde de notre personnage n’est plus assuré et menace de s’effondrer.

Si Signalis pousse loin l’idée de manipulation d’objet, et ne s’arrête pas à son utilité pratique (chercher des indices et des bitoniaux activables sur les objets pour progresser dans les énigmes), le jeu se fonde par ailleurs sur des bases bien connues, inspirées de ses modèles : il reprend notamment les « salles de sauvegardes » de Resident Evil (coffre de stockage compris), et sa gestion d’un inventaire hyper limité, imposant constamment de se délester d’armes et de munitions qui nous semblent pourtant essentiels à la survie jusqu’à la prochaine zone sauve. Du classique de Capcom, Signalis reprend enfin une progression modelée par les puzzles, qui requierent de fréquents allers-retours de petites salles en corridors étroits, le confinement des lieux amplifiant l’angoisse d’une proximité forcée avec les ennemis, dont la silhouette ressemble étrangement à la nôtre (l’histoire nous apprendra bientôt pourquoi).

Pendant la première moitié du jeu, cette formule bien dosée se marie harmonieusement avec la qualité mystérieuse, tranquilement angoissante des espaces explorés. Puis dans sa volonté de monter la pression, le game-design commence à forcer les doses, à rallonger les énigmes de plus d’objets-clé sans gain d’intérêt, à densifier les espaces d’ennemis jusqu’à saturation, faisant s’affaisser la belle tenue des premières heures faute d’idée nouvelle pour tenir la distance. On finit par n’avoir plus du tout peur des ennemis à force de les croiser partout et de repasser aux mêmes endroits pour les besoins des énigmes.

La partie ludique déraille donc quelque peu et finit par (se) fatiguer, mais l’expérience générale n’en laisse pas moins une forte impression sur le plan esthétique, qui contrebalance son final laborieux. Cette accroche lui vient de deux de ses modèles, le chef d’oeuvre Silent Hill et sa suite Silent Hill 3, qui lui inspirent ce qu’il a de meilleur : le design de ses monstres, aux silouhettes indistinctes, mutantes, à la démarche heurtée ; mais surtout sa tournure de « jeu malade », de monde glitché et instable, susceptible à chaque instant d’une corruption interne jusque dans ses décors, dont les textures menacent d’être gagnés par une sorte de « maladie » à mesure que l’on s’enfonce dans ses profondeurs – on ne cesse d’y sauter dans des trous ténébreux, comme dans les Silent Hill.

Cette trajectoire est le point fort du jeu, partant d’une stabilité initiale de jeu d’horreur « classique » puis se déréglant progressivement par toute une série de contaminations graphiques et formelles : glitchs visuels apparaissant à l’approche des ennemis (tels que des pixels décalés, ou des textes en surimpression), et autres textures métalliques se corrodant puis virant à la chair putride, sont autant de glissements qui déstabilisent et inquiètent quant à la destination de notre voyage qui, de toute évidence, converge vers une sorte d’enfer. Cette progression vécue comme une infection de la matière du monde et même du code du jeu, en miroir à une histoire cryptique d’égarrement dans des limbes sans dehors, est la grande réussite de Signalis, qui mérite le détour malgré les limites d’un game-design un peu moins inspiré dans sa deuxième moitié.

+
  • L'impression d'un jeu et d'un monde "contaminés" qui se détèriorent au fur et à mesure
  • Esthétique remarquable, inspirée par Silent Hill
  • La première moitié, captivante, au rythme bien dosé
  • Les flashback en vue "1ère personne" et la manipulation d'objets en 3D, qui matérialisent le monde
-
  • Une deuxième moitié moins inventive et mal dosée (trop de monstres partout, énigmes trop étirées et répétitives)
  • Le récit difficile à suivre sur la fin
7
Écrit par
Administrateur du site Etoile et champignon. Passionné par les jeux vidéo.

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