Critique d’Assassin’s Creed 3 : l’épisode de la transition

Test écrit en novembre 2012.

Après deux spin-off de qualité reprenant une formule éprouvée, Assassin’s Creed 3 est sans conteste devenu l’épisode de toutes les attentes : celui par lequel la franchise phare d’Ubisoft devait impérativement briser sa routine et trouver un souffle nouveau. Pour ce faire, Ubisoft a doublement rebattu les cartes : l’Europe de la Renaissance a cédé la place à l’Amérique du XVIIIe siècle, et les espaces urbains – ici Boston et New-York – se retrouvent annexés à une vaste zone de nature montagneuse taillée pour le gameplay acrobatique. Résultat : ce troisième épisode est à la fois le plus ambitieux et le plus riche de la série.

Introducing Connor

Assassin s Creed 3Suite directe de l’épisode Revelations, Assassin’s Creed 3 s’ouvre sur l’arrivée de Desmond dans le Grand Temple des Précurseurs, renfermant un savoir ancestral qui permettrait d’éviter la fin du monde – rien que ça. Ni une, ni deux, notre héros plonge dans l’Animus afin de retrouver la clé du Sanctuaire. Il devra y revivre le passé de l’un de ses aïeuls, un assassin londonien du XVIIIe siècle détenteur du précieux artefact. C’est le début d’un récit qui, de Londres, voyagera vers l’Amérique à l’aube de sa Révolution. Si le versant moderne de l’histoire, sur fond de S.F. tarabiscotée fait toujours office de prétexte lourdaud, la partie historique se montre, elle, autrement plus intéressante. On y incarne Connor (aka. Ratonhnhaké:ton), métisse mi-indien mi-anglais lancé dans une vendetta au long cours contre les Templiers qui menacent de détruire son village.

Passée l’introduction un peu longuette, le joueur découvre en Connor le héros le plus réussi de la série. Confronté aux tumultes de la Révolution Américaine, Connor se forge un tempérament contrasté, tissant des amitiés et des haines par le biais desquelles la grande Histoire se dessine à hauteur d’homme. En mêlant réalité historique et destin de son héros, le scénario permet en outre au joueur de ne plus être un simple voyageur temporel indifférent à l’Histoire, mais bien son témoin privilégié. En l’occurrence, ce rapport resserré entre récit et fait historique offre au joueur de revivre certains moments charnières – Massacre de Boston, Révolte du Tea Party, … – autant d’évènements qui redoublent les enjeux narratifs d’une résonance historique où la grandeur côtoie le drame. Totalement dévouée à son récit riche et profond, la campagne principale paye malheureusement son ambition narrative sur le plan ludique, où la liberté du joueur se retrouve grandement réduite.

Vices et vertus des quêtes principales

Les séquences se succèdent en effet en éclats courts et hachés, d’autant plus frustrants que le périmètre des missions paraît souvent très petit – typiquement, une enfilade de rue, une falaise ou un bout de campagne. Qu’il s’agisse de courses-poursuites, de missions de filature, de séquences d’infiltrations ou de batailles épiques, les quêtes principales organisent des parcours « sous contrôle » qui ne laissent que rarement le libre choix de l’approche. Pour preuve : il suffit de tester un parcours alternatif pour se retrouver « désynchronisé » sans sommation. Chaque séquence n’admet guère plus d’une ou deux petites variantes, restreignant d’autant le champs ludique du joueur et limitant l’impression d’être vraiment « l’auteur » des ses exploits.

Reconnaissons une vertu à cette nouvelle approche « limitative » : les quêtes principales y gagnent en diversité autant qu’en spectaculaire. Au gré de l’histoire, le joueur se retrouvera ainsi propulsé « chef de guerre » d’une bataille dantesque, dirigeant les tirs de ses troupes pour juguler le flot ennemi ; ailleurs, il lui faudra zigzaguer entre les boulets de canons dans les vestiges d’une ville en cours de destruction. Porté par le rythme haletant du récit, la progression ose quelques rebondissements savoureux, parfois même émouvants, capables d’une intensité dramatique inédite pour la série.

Ajustements bien sentis du gameplay

Côté gameplay, Assassin’s Creed 3 révise sa base classique – plateformes sans entrave, assassinats furtifs et combats – de quelques ajustements bienvenus. Outre la possibilité de se faufiler sous des obstacles ou de les franchir prestement, les nouvelles mécaniques de déplacement permettent désormais d’escalader les arbres et falaises : un vraie plaisir. S’y découvrent toute une grammaire plateforme faite de branches et de troncs, de fissures et de prises rocheuses, inscrits dans le décor comme autant de nouveaux chemins en puissance.

Les combats sont quant à eux remodelés autour de trois mécaniques – parade, bris de garde et attaque – où la contre-attaque sur le bon timing devient prédominante. Sans trop rogner sur la difficulté – les ennemis encerclent et agressent le joueur sans ménagement -, ces ajustements s’avèrent tout à fait plaisants en pratique, d’autant qu’un gros travail sur l’animation gratifie les passes d’armes réussies de jolies chorégraphies. Sous l’angle infiltration en revanche, l’I.A. ennemie montre une fois de plus quelques limites, les soldats réagissant parfois trop vivement, parfois trop peu, à notre présence – rien qui suffise cependant à gâcher le plaisir des approches discrètes.

La liberté retrouvée

Traditionnellement un point fort de la série, les très nombreuses quêtes secondaires d’Assassin’s Creed 3 lui permettent rien moins que d’exprimer son plein potentiel. Il faut l’admettre, on est de prime abord submergé par l’ampleur du monde et de son immense zone montagneuse, saturé d’icônes et d’objectifs dont la finalité n’est pas simple à cerner. Puis à force de pratique, la structure globale se dévoile et devient alors totalement libératrice, pour ne pas dire addictive. Parfait point de départ à la flânerie à laquelle incite le jeu, les quêtes « gain de ressources » proposent de pratiquer un aspect précis du gameplay – comme la chasse ou le pugilat – tout en augmentant tranquillement son pécule. Le club de chasse nous envoie par exemple sur la trace d’animaux qu’il faudra pister à l’aide d’indices, puis attraper par la méthode appropriée (collet pour les petites bestioles, traque silencieuse et couteau pour les cerfs). Puis la libre exploration continue au gré des quêtes d’assassinats, de courrier ou de libération des quartiers citadins, et j’en passe.

Sur ce même mode de la diversion, le joueur trouvera motif à l’exploration approfondie avec la collecte de plumes, coffres et pages de manuscrits offrant leur lot de récompenses motivantes. Plus grisante encore est la découverte du Domaine, vaste région en friche où le joueur invitera des artisans PNJ à s’installer au terme de quêtes scénarisées : la région se peuplera ainsi progressivement de maisons et d’habitants qui fourniront le joueur en récoltes et objets d’artisanats, à revendre aux marchands des villes. Outre une source de revenus supplémentaire, cette suite de quêtes offre une gratification fabuleuse, celle de faire naître et puis voir grandir sa propre ville.

Master and Commander

Attendues au tournant, les quêtes navales se révèlent elles aussi d’une qualité ludique surprenante : de la gestion de la voilure à l’inertie du déplacement sous le vent, du positionnement dans l’angle mort des flottes ennemies au timing des tirs de canon, les mécaniques restituent à merveille la tension électrique d’une bataille navale. Le traitement sonore et visuel de ces scènes n’est pas en reste, capable de figurer l’atmosphère poudreuse d’un échange de tirs, la destruction progressive des navires comme la naissance d’une houle menaçante. Batailler contre un énorme galion ennemi sous l’ombre funeste de vagues hautes de dix mètres est à ce titre une expérience absolument grisante.

Loin d’être anecdotique, la découverte des points de voyages rapides par la prise de Forts et l’exploration des sous-terrains dévoile elle-aussi une belle consistance ; les fortins offrent un challenge « infiltration » très plaisant et les labyrinthes, un melting-pot d’énigmes et de plateformes. Autre exemple de ces plaisirs ludiques cachés dans les replis du jeu, la collecte de « breloques » permet de débloquer in fine une quête au trésor en cinq niveaux, petites perles de pure plateforme au sein de décors esthétiquement réussis.

Quelques couacs techniques et esthétiques

Ainsi se dévoile, sur la durée, la vraie structure du jeu, ample et consistante, foisonnante en belles surprises. Pilier de cette richesse de jeu – une partie prolongée pouvant allégrement dépasser les 35 heures de jeu -, la zone frontalière brille par son level-design d’orfèvre entièrement dévoué au gameplay à deux niveaux. Esthétiquement en revanche, la zone alterne les réussites diverses et peine à afficher les beaux panoramas espérés : on passe ainsi de portions de campagne joliment décoratives à des bosquets brouillons, de jolie vues côtières en falaises taillées à la serpe. C’était sans doute le prix à payer pour un décor aussi dense en proposition de jeu.

Il faut le dire, les limitations techniques des versions consoles n’aident pas les environnements à briller de mille feux. Quelques baisses de frame-rate et autres bugs (armes volantes, collisions mal gérées) ont ainsi parsemé nos sessions – probablement inhérents à la complexité du monde ouvert et jamais trop gênants, ces problèmes seront corrigés par un prochain patch, nous dit-on -. Bugs mis à part, Assassin’s Creed 3 a parfois des airs de grand jeu dans une boîte trop petite : un épais brouillard viendra ainsi fréquemment obstruer le champs de vision, comme pour permettre un affichage sans heurts de zones trop vastes. La zone frontalière ne nous épargne pas non plus les textures floues dès la moyenne portée, gâchant nombre de points de vue qui pourraient être autrement plus immersifs.

Plus à leur aise car de taille plus modestes, les villes de Boston et New-York sont visuellement très réussies, avec leurs bâtisses en briques rouge et leurs ports vibrants de vie. Il faut saluer le remarquable travail d’animation des innombrables passants, soldats et artisans qui s’affairent alentour, une prouesse rendue possible par le nouveau moteur du jeu, également capable d’afficher plus d’une centaine de personnages sans sourciller lors des scènes de batailles. Certaines des séquences les plus réussies – comme cette traversée de l’Atlantique bercée de chants de marins – soulignent enfin l’excellence de l’environnement sonore qui, de la clameur de la ville aux musiques soignées, accomplit déjà la moitié du voyage.

Conclusion

Assassin’s Creed 3 est à peu près l’épisode dantesque attendu, tant par sa taille que par sa richesse ludique. Si l’on regrettera l’aspect très « segmenté » et linéaire des quêtes principales, la campagne scénarisée n’en demeure pas moins mémorable. Les quêtes principales s’avèrent prenantes et dévoilent un héros remarquablement consistant, mais ce sont encore les pléthoriques activités secondaires qui permettent à cet épisode de révéler son potentiel. En revanche, les vastes zones de jeu peinent à flatter la rétine, la faute à une technique qui montre parfois ses limites, et à un manque d’expérience de l’équipe d’Ubisoft en matière de level-design/level-art d’un monde naturel décloisonné. Mais ces quelques compromis esthétiques et autres bugs résiduels disent aussi l’ambition d’un titre passionnant qui devrait dans une large mesure combler les attentes des amateurs de la série.

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Écrit par
Administrateur du site Etoile et champignon. Passionné par les jeux vidéo.

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