Critique de Psychonauts : foisonnement créatif

Quand on découvre Psychonauts, on se rend compte d’un malentendu : le jeu semble s’inscrire dans le genre « plateforme » (ce qu’il est dans la forme), mais a bien plus l’esprit d’un jeu d’aventure-énigme dans la lignée loufoque de Grim Fanfango et des point’n clic made in Lucasarts, dont l’ADN est encore très perceptible ici. Comme souvent chez Double Fine, la motivation première est moins l’aspect purement ludique de leur jeu, la « qualité » de son action, que le fait de déployer les mondes visuels inspirés par son histoire et ses personnages – lesquels sont immédiatement investis comme des « occasions » d’exercices de création graphique, leur tempérament inspirant leur forme caricaturale et cartoonesque. Psychonauts pousse même plus loin que jamais le goût du studio pour la création visuelle, puisque la psychologie de ses personnages y devient un monde explorable à part entière, au sein duquel notre héros, apprenti Psychonaute de son état, devra démêler les nœuds d’un trauma en progressant de plateforme en énigmes, représentant le passé troublé des personnages « visités » – chaque niveau se concluant sur la résolution du trauma, sous la forme d’un combat de boss où notre victoire « soignera » l’esprit du personnage visité -.

Les deux marottes du studio se retrouvent ainsi constamment mêlées : d’un côté, la narration par les énigmes et cinématiques, qui se suivent avec intérêt, comme dans un bon dessin-animé pour enfant ; de l’autre, le foisonnement de « poches » d’imaginaire (les mondes psychiques) où les artistes et level-designer du studio peuvent laisser libre court à leur créativité, déployant au passage une grande variété de thèmes – un champ de bataille pour l’esprit d’un prof militaire, un grand théâtre pour celui d’une actrice, un monde-peinture pour celui d’un artiste, etc…

Ce principe en foisonnements d’imaginaires qui préside à la forme du jeu lui donne une structure étonnante, qui n’est pas du tout celle, bien rangée et au programme régulier, d’un Mario 3D où un hub central reste un hub, et où les niveaux s’explorent sagement les uns après les autres. Ici, un hub peut devenir un niveau plateformesque en bonne et due forme, menant on ne sait où (cf. tout le passage de l’hopital psychiatrique qui n’en finit plus de grimper) ; et les niveaux à proprement parler peuvent se présenter sous une surprenante forme enchâssée, comme à ce moment au début de l’aventure, où l’on doit sortir d’un monde mental en cours de route pour entrer dans un autre et y dénicher un pouvoir nécessaire au déblocage du chemin. Dans un autre enchaînement réussi, la région du lac ouvre sur un moment exploratoire qui nous promène de la rive jusqu’au fond de l’eau, conclu par l’entrée dans l’esprit du boss local, une sorte de monstre du Loch Ness, dont le niveau prend la forme d’une giga-cité où l’on déboule tel un Kaïju détruisant tout sur son passage. Dans ces séquences comme dans de nombreuses autres, les surprises se succèdent constamment et motivent à progresser, ne serait-ce que pour voir les mondes et articulations d’espaces imprévisibles que la suite nous réserve.

Car il faut dire aussi, et cela n’étonnera pas les amateurs des jeux Double Fine, coutumiers du fait, que la partie « plateforme » est ludiquement défaillante : ses phases de franchissement, déjà vieillottes à la sortie du jeu en 2005, paraissent aujourd’hui d’autant plus rigides, dénuées de tous les ajustements que l’on a pris l’habitude de voir dans les cadors de la plateforme 3D, qui compensent habituellement nos légères imprécisions de sauts ou de placements en nous « calant » sur les plateformes presque atteintes, et qui « lissent » notre pratique. Ici, quand on rate une plateforme ou une balançoire même d’un pouce – ce qui arrive souvent suite à une mauvaise appréciation de la profondeur -, le jeu ne « rattrape » pas notre maladresse et nous laisse littéralement tomber, nous obligeant à refaire des séries de franchissements parfois longues et laborieuses. La caméra n’est pas non plus d’une grande aide, avec sa raideur et ses réaxages brutaux, sans amorce douce, qui accentuent notre impression de maladresse et rendent les sauts difficiles à doser. Quant aux boss, certes intéressants sur les plans thématique et formel, ils sont souvent une horreur à pratiquer, certains d’entre eux atteignant des sommets d’a-peu prêt et d’opacité mécaniques – le jeu n’est pas très bon dans la communication de ce qu’il attend de nous sur le plan de l’action.

On ne joue donc clairement pas à Psychonauts pour la qualité de ses sensations physiques : on ne joue d’ailleurs jamais aux jeux Double Fine pour le plaisir de pratiquer leurs gameplay d’action, quand ils en ont, le développeur ayant la fâcheuse tendance à bricoler un système de guingois tenant vaguement la route, ne valant que comme « connecteur » entre ce qui l’intéresse vraiment : des morceaux de narration et des imaginaires loufoques, à faire explorer et expérimenter par des énigmes. Dans Psychonauts, il se trouve que l’on s’en accommode très bien, ces relatifs désagréaments pratiques étant compensés par le plaisir de découvrir ses cheminements foutraques et de ses idées formelles à l’invention folle. Psychonauts n’est en effet jamais aussi excitant que lorsqu’il oublie d’être un jeu de plateforme et que, par une tangente créative dont Double Fine a le secret, suivant un principe d’inspiration du moment et d’associations d’idées, il devient toute autre chose, se muant en pur jeu d’aventure au sein d’imaginaires constamment surprenants. L’un des meilleurs exemple de cette progression par « pas de côtés », qui nous éloigne de mondes « plateformesques » classiques, est ce moment où l’on explore l’esprit d’un malade psychiatrique se prenant pour Napoléon, son espace mental prenant la forme d’un monde dans un monde dans un monde : partant d’un carré des officiers dans un navire de guerre, on bascule dans le jeu de plateau au centre de la pièce, plateau que l’on visite à l’échelle d’un géant ou bien à celle, miniature, de ses pions de jeu, le niveau nous apparaissant alors comme un grand monde ouvert avec ses maisons, ses fermes, ses collines, son château, entre lesquels les énigmes et phases de plateformes nous font circuler.

Ce moment brillant en vaut un autre que l’on adore, celui du monde intérieur du postier parano, prenant la forme d’un suburb à l’américaine dont les rues entortillées dans toutes les directions évoquent le sac de nœuds de l’esprit de notre hôte. A la lumière de ces niveaux géniaux et de nombreux autres moments mémorables, on garde de Psychonauts le souvenir d’un jeu au gameplay certes faillible (quoique globalement fonctionnel), mais qui a le mérite de ne jamais se laisser enfermer dans un genre ou une structure donnée : l’équipe de développement préfère toujours suivre les pentes imaginaires qui se présentent à elle et laisser libre cours à ses idées visuelles et narratives, aussi perchées soient-elles, quitte à sortir complétement du cadre initial de la plateforme « classique » et à se retrouver dans des imaginaires ludiques et visuels inédits, modelés par leure seule inspiration. On ne peut que louer un tel crédo créatif, pour les destinations improbables auxquelles il amène et qui nous font nous sentir comme Alice au Pays des Merveilles, perdus en absurdie : c’est, évidemment, un esprit que l’on espère retrouver dans la suite, que l’on va s’empresser de rattraper dès que possible.

+
  • Progression constamment surprenante, qui casse le modèle "hub-niveau"
  • L'inventivité visuelle permanente, de la physionomie des personnages à la forme des mondes-psyché
  • Enigmes astucieuses à portée narrative
-
  • Gameplay de plateforme rigide et vieillot, pas toujours précis
  • Gameplay d'action bricolée, avare en sensations
  • Combats de boss très moyens
8
Écrit par
Administrateur du site Etoile et champignon. Passionné par les jeux vidéo.

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