Critique de Sorcery 3 : Les Sept Serpents

Critique publiée par Benoît le 04/05/2015 sur Apps-and-play.com, site d’actualités et de tests sur les jeux mobiles en activité en 2014 et 2015.

Plus d’un an après La Cité des Pièges, le studio inkle poursuit enfin l’aventure « Sorcellerie » avec Les Sept Serpents, troisième tome d’une mémorable série de gamebooks écrite à la fin des années 80 par Steve Jackson. La bonne surprise, c’est que le développeur ne s’est pas contenté d’une adaptation visuellement léchée du livre original : à l’instar du récent 80 Days, Les Sept Serpents se vit comme une grande et passionnante aventure, beaucoup plus vaste et moins linéaire que le livre d’origine, à la frontière du jeu de rôle.

HOW! : Vous cherchez une sortie

Rappel des événements précédents : sous les traits d’un héros-magicien, le joueur doit récupérer la précieuse Couronne des Rois des mains d’un monarque dément ; mission ô combien dangereuse qui le conduit à traverser les collines de Shamutanti (tome 1) et la ville de Khâré (tome 2), avant de suivre les routes du Kakhabad, contrée effrayante dont personne n’est jamais revenu et décor de ce troisième opus.

Histoire de compliquer le parcours, l’Archimage a lancé ses sept gardiens-serpents sur nos trousses pour nous stopper ou, au moins, le prévenir de notre arrivée : notre mission consiste donc à les débusquer là où ils se terrent et les tuer, au prix d’énigmes roublardes dévoilant leur talon d’Achille, puis à atteindre les montagnes finales avant qu’il ne soit trop tard – le jeu décompte les heures et jours qui passent, et en fait un vrai enjeu de narration (on y revient) -.

Point qui n’a pas changé, la présentation est toujours ultra-soignée. On y retrouve les textes qui se succèdent en petits bouts de papiers couturés, et la belle carte en 3D « dessinée », représentant ici le Kakhabad et ses régions s’étalant entre montagnes, déserts et forêts jusqu’au grand lac final. Quant au héros représenté par une figurine, façon « jeu de plateau », on le déplace toujours au tactile d’un drapeau à l’autre, chaque fanion représentant un lieu précis et recelant un bout d’histoire à découvrir. En cas de danger, on retrouve enfin l’option de « lancer un sort », qui déclenche l’élégant système de sphère de lettres à tapoter pour former l’incantation voulue.

ZAP! : vous lancez un éclair

Voilà qui semblera familier aux joueurs des premiers livres, ce qui n’est pas pour nous déplaire tant l’interface ciselée par inkle est une merveille sans égale dans le genre ; quant aux nouveaux venus, ils devraient s’en sortir sans soucis, si tant est qu’ils sont à l’aise en anglais (le gamebook n’est pas traduit). La grosse et heureuse surprise, c’est que le studio ne se contente plus d’adapter « simplement » le texte original, dépassant de loin l’ambition des deux premiers chapitres.

Le studio a en effet choisi de se réapproprier le récit écrit par Jackson, en le déconstruisant puis le remodelant dans le flot d’une histoire plus ample, moins linéaire et riche de nombreuses péripéties inédites dont une centrale ouvre sur un deuxième monde : des phares magiques ont été introduits, dont le faisceaux lumineux peut basculer le décor dans un passé verdoyant et vibrant de vie, à l’opposé de l’actuel Kakhabad dévasté. Sous leur lumière (ré-orientable à loisir, une fois rendu au sommet des tours), des ruines se transforment en villages animés, des forêts sombres se muent en marécages, des ponts détruits se reconstituent, et c’est tout l’itinéraire du livre qui se redouble d’une deuxième couche, lointain écho du monde original.

L’effet des faisceaux sur la carte est d’abord visuellement réussi, et simplement plaisant à expérimenter. Du côté du récit, l’astuce fonctionne aussi comme une invitation à se promener partout sur la carte pour découvrir les deux versions de chaque lieu, et tous les bouts d’histoire qui s’y cachent. Comme pour souligner cette appel à l’exploration exhaustive, les phares font également (et très commodément) office de portails de téléportation, pouvoir dont on use et abuse lorsque l’on pense avoir oublié un serpent en fin d’aventure, ou tout simplement pour le plaisir de découvrir de nouveaux pans d’histoire inexplorés.

RAP! : vous parlez toutes les langues

Dernier trait de génie de ce tome : le passage du temps y devient une donnée essentielle à gérer soigneusement, là où le livre original figurait cette donnée par une linéarité punitive (un mauvais choix peut faire rater un serpent ou autre rencontre importante pour toute la partie). A l’instar de 80 Days, tout dans la qualité d’écriture et l’intérêt des rebondissements incite à prendre son temps sur la route, à voir quels bouts d’histoires passionnants se cachent à tous les endroits de la carte… en même temps qu’un ultimatum de 25 jours nous presse à optimiser au maximum notre parcours : passé ce délai, si un serpent au moins à survécu, la nouvelle de notre venue nous devance dans les contreforts de Mampang, nous vouant à une mort quasi-certaine dans le déjà très difficile tome 4 à venir.

Cet angle de l’optimisation est une incitation fabuleuse à relancer une partie, d’autant que la richesse des situations garantit la fraîcheur des retry : en 10 heures de jeu et une partie bouclée (avec un serpent survivant), il nous restait encore beaucoup de chose à voir, de personnages à rencontrer, d’artefacts à découvrir ; c’est dire ! A noter, on retrouve la possibilité souvent salutaire de revenir sur ses choix précédents via une frise chronologique en bas d’écran que l’on active simplement par balayage : il suffit de s’arrêter sur le choix que l’on veut « rejouer », et la partie revient aux bons endroit et moment, comme si l’on avait gardé le doigt sur la bonne page ; limpide et élégamment géré.

Pour les connaisseurs de la série d’origine, reste enfin un dernier plaisir, qui occulte le relatif manque d’intérêt du système de combat (un bête jeu d’attaque/défense) : celui de retrouver toute l’histoire initiale, diluée dans le grand bain de récit réécrit par inkle, de façon si respectueuse du matériau d’origine que l’ensemble paraît écrit d’une seule main. Outre les confrontations avec les serpents, moments d’anthologie des Livres Dont Vous Êtes le Héros des 80’s, on pense à cette rencontre avec le prisonnier d’un temple de guingois, à la stressante traversée du lac, ou à l’étrange tractation avec la sorcière des forêts, moments tous illustrés par les indépassables dessins originaux de John Blanche, au trait pointillé et minutieux reconnaissable entre tous.

Conclusion

Au coude à coude avec 80 Days du même studio, l’ambitieuse adaptation du tome 3 de Sorcellerie est l’un des meilleurs gamebooks sortis sur mobile : c’est à la fois l’un des plus ouvert à l’exploration libre, l’un des plus rejouables du fait de sa richesse narrative et de la gestion du temps qui pousse à optimiser son parcours, et l’un des plus joliment illustrés. S’il est préférable d’avoir fini les tomes précédents pour profiter du souffle épique de son aventure avec une sauvegarde globale, on recommande sans réserve ces Sept Serpents à tout amateur de gamebook (voir de RPG tout court), pour peu qu’il soit à l’aise en anglais.

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Écrit par
Administrateur du site Etoile et champignon. Passionné par les jeux vidéo.

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