Critique de A Plague Tale : Requiem, jeu d’artistes

Comme le premier épisode (Innocence), A Plague Tale Requiem est une adaptation « à la française » (d’un studio bordelais) du modèle grand public des Uncharted, modèle qui peut se résumer grossièrement en un séquençage typique de plusieurs éléments : des phases d’action/infiltration, des phases d’explorations avec puzzles, une narration appuyée, et des moments de pure contemplation de panoramas « à gros budget ».  Requiem respecte la formule à la lettre, mais convainc tout de même moins que le premier, que l’on avait trouvé mieux rythmé et plus inspiré. Que l’on s’entende, on a tout de même apprécié cette suite, qui se joue sans déplaisir, sans doute parce qu’elle recèle une énorme récompense visuelle à chaque tournant – a-t-on déjà vu jeu plus beau ? Pas souvent… – ; mais pour atteindre ces récompenses, on a fréquemment l’impression de devoir se remonter les manches et se « mettre au turbin » de sa part ludique.

Il faut dire que le modèle « Uncharted » (qui est aussi celui des Last of Us) a fait long feu : comme on le connait par coeur, on est maintenant devenu très attentif à la qualité de chaque segment. Commençons par la proposition ludique, qui repart de la belle idée d’A Plague Tale Innocence : tout endroit non éclairé grouille de rats mortels, lesquels ont peur du feu et de la lumière. Pour progresser dans les niveaux, il faudra donc embraser des torches et feux divers, qui seront autant de points « saufs » entre lesquels il sera possible de naviguer. Nos sauts de puce de feu en feu se feront par la résolution de puzzle de « gestion des rats » et d’ouverture de chemins, basés sur l’interaction avec l’environnement et sur l’utilisation de substances jetables aux effets divers (allumer des feux, les éteindre, attirer les rats, provoquer une explosion). Les joueurs d’Innocence ne seront donc pas surpris, le socle ludique restant le même, mais sa scène quintessencielle impressionne toujours visuellement : c’est celle montrant nos personnages blottis contre un feu face aux nuées de rats qui s’agitent férocement dans l’ombre, rejouant une peur enfantine de l’obscurité sur un mode spectaculaire.

Ce concept ludico-visuel, pleinement justifié sur un premier jeu, ne suffit hélas pas à tenir cette suite, où l’on se prend assez rapidement à s’ennuyer et à éprouver les trop longues séquences de « gestion des rats » comme une relative corvée. Pour dépasser les 15 heures de jeu, alors que la moitié aurait suffi, le développeur Asobo étire les phases ludiques plus que de raison, sans que de nouvelles idées ne le justifie. Du chapitre 2 à 6 (sur 17), les environnements deviennent trop souvent de pures zones de puzzles et d’arènes d’infiltration très artificielles, à visée uniquement ludique et plus du tout figurative, que les premiers plans de chaque chapitre, toujours sublimes, ne suffisent pas à compenser. Quant aux moments d’action-infiltration, elles fonctionnent et peuvent distraire, mais ne suscitent pas non plus un fol enthousiasme. Certes cette suite nous dispense des combats de boss maladroits du premier épisode – signe qu’elle sait que l’action n’est pas son fort – ; certes, elle nous dote de nouvelles options amusantes pour gérer les ennemis (la combinaison « poix + feu » explosive, le jeu à l’arbalète)… mais les phases d’esquives dans les hautes herbes, qui virent le plus souvent à un jeu de cache-cache répétitif et stéréotypé, ne font jamais oublier la souplesse et la versatilité des meilleurs jeux du genre, qui paraissent ici bien loin. Ceci étant, on s’en accommoderait plus facilement si ces phases, ne variant que dans la petite nuance, ne semblaient pas répétées juste pour étirer la durée du jeu.

Quid de la narration ? C’est souvent l’une des carottes dans la formule « Uncharted » : après telle fusillade ou telle séance de crapahutage, on sait qu’une scène de « cinéma », spectaculaire ou émouvante, va nous récompenser de notre effort. L’idée est la même dans A Plague Tale Requiem, mais la réalisation en est moins convaincante. Dans les dialogues scriptés comme les cinématiques, on est souvent gêné par une chose ou une autre : la voix geignarde du petit frère et ses jérémiades incessantes, les discussions hyper répétitives pendant le jeu, la mise en scène des cinématiques, qui surdose le pathos « à l’américaine » avec un sérieux de pape, ou encore toutes les figures obligées du genre (le sidekick bourru mais finalement sympa, le blabla lourdingue du bad guy à la fin…). Bref, la part narrative n’a pas été, pour nous, la récompense espérée – la preuve : on n’a pas été ému une seconde… -. On peut trouver dommage qu’un jeu à si forte composante narrative n’ait pas de sa narration une approche plus inspirée, plus singulière, plus clairement motivée par une envie de raconter son histoire particulière ; en l’état, on se demande parfois si l’envie narrative y était.

Là où l’envie est inquestionnable en revanche, c’est sur le terrain de la beauté : A Plague Tale Requiem est avant tout un jeu d’artistes hyper talentueux, a qui l’on a, semble-t-il, donné les moyens de leurs ambitions visuelles. Si le « panorama à décrocher la mâchoire » est un peu le rite de passage de tout jeu aspirant triple-A (avec la destruction de décor en live, case cochée ici aussi), alors Requiem égale sans problème ses modèles américains sur ce registre. Cela peut-il suffire à justifier de le parcourir, malgré l’intérêt discutable, quoique pas du tout nul, du reste ? Nous pensons que oui : les moments d’exploration contemplative y sont un pur médicament pour les yeux et pour l’esprit, et ils sont assez nombreux et réguliers pour justifier la promenade. On en a fait la liste : il y a l’époustouflante ville fortifiée, toute en hauteur et en ruelles étroites, du chapitre 2, le camp dans la pinède débouchant sur les canyons ocres du chapitre 6, la promenade finale dans la montagne et, surtout, l’excellent bloc central du chapitre 7 (une sorte de best-of concis et bien rythmé des mécaniques du jeu) jusqu’au 10, où le jeu est à son meilleur, c’est-à-dire à son plus beau, et à son plus léger du point de vue ludique. L’exploration d’une île méditerranéenne fantasmée y devient l’occasion, pour les artistes d’Asobo, de multiplier les beaux paysages, les compositions architecturales raffinées (le port fleuri aux façades blanches, le château), mais aussi les jeux de textures et de couleurs contrastées (le vert des pins contre le blanc calcaire des grands pointes acérées en arrière-plan), le tout magnifié par la rude lumière du midi : autant de beautées dont on peut enfin profiter en pur promeneur, le chapitre 9 brisant avec la linéarité des précédents niveaux pour permettre une exploration tous azimuts, sans pression… et devenant de ce fait le niveau « modèle » des jeux Asobo, une sorte de pure galerie de son talent visuel débarassée de l’obligation de nous « faire jouer » qui se ressent par ailleurs. Car si Requiem a bien une ambition perceptible, c’est celle, artistique, proprement contemplative, de nous faire voyager dans un « quelque part » imaginaire, et on le dit sans galvauder le mot, au premier degré : à son meilleur, il active ce pouvoir propre à de certains jeux, qui est de nous « transporter » dans leurs lieux, de nous donner l’impression que l’on s’y est vraiment tenu physiquement, baigné de leurs matières (leurs roches, végétations, étoffes…) toutes précises et consistantes, et de leurs topographies crédibles. En l’occurrence, il ne restait plus qu’un pas imaginaire pour sentir le chaud de l’air et l’odeur des épines de pins.

Notre avis, au final, et malgré nos critiques, c’est qu’il y a une place pour les jeux d’artistes comme A Plague Tale Requiem, qui valent comme compilations de beaux lieux où se promener et de panoramas à embrasser : ce sont là des actions de basse intensité, qui n’amènent certes pas très loin ludiquement, mais qui n’en font pas moins du bien sur leur seul mérite esthétique. Et si l’on préfèrera toujours les jeux qui savent marier ces visions d’artistes à un gameplay du tout-action (en premier lieu : les derniers jeux de Kojima, ceux de From Software), on n’en reconnait pas moins à Requiem cette capacité à activer l’une des magies premières du jeu-vidéo, média d’images animées offertes à l’exploration : c’est la possibilité donnée de visiter des topographies et architectures impossibles, des beaux mondes imaginaires, rendus consistants (en l’occurence, s’inspirant du sud d’une France moyenâgeuse fantasmée, quasiment jamais vue dans les jeux, ce qui est un attrait supplémentaire).  

+
  • Un des plus beaux jeux de ces dernières années (les récompenses visuelles abondent)
  • Un solide "coeur du jeu", du chapitre 7 au 10
  • L'action-infiltration qui s'étoffe d'options amusantes, qui dynamisent le gameplay
-
  • Des segments répététifs, trop étirés sur la durée dans la première moitié
  • La narration, souvent agaçante et clichée
  • Le blabla incessant pendant les sections de jeu (et la voix du petit frère...)
6
Écrit par
Administrateur du site Etoile et champignon. Passionné par les jeux vidéo.

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