Test de The Sailor’s Dream : magnifique boite à secrets

Test publié à l’origine en novembre 2014

On pensait que The Sailor’s Dream serait peu ou prou un jeu d’énigme, en se basant sur les deux dernières productions nomades de Simogo (les mémorables Year Walk et Device 6) : nous voilà détrompé. D’énigme il n’y a point, dans la dernière aventure des talentueux suédois, où les interactions se limitent à une certaine forme d’exploration non-linéaire, sans épreuve ni autre enjeu que celui de découvrir son histoire. Et pourtant, en dépit d’attentes contrariées et de la brieveté de l’expérience, on en ressort le cœur gonflé, avec la certitude que ce jeu là va compter.

Ceci n’est pas un puzzle-game

Pas question d’éventer le récit, on risquerait de vous gâcher le plaisir. Disons simplement ceci : The Sailor’s Dream se présente comme un sublime océan ponctué d’îlots ; îlots que l’on observe d’une position centrale par un regard panoramique, et que l’on visitera l’un après l’autre. Pour « avancer » dans le jeu, si l’on peut dire, il faudra atteindre la sortie de chaque île (qui se marque alors d’une étoile sur la carte centrale), non sans avoir lu au passage l’ensemble des textes que recèlent les zones interactives – il s’agira le plus souvent d’objets (un os, une fenêtre battue par la pluie, des feuilles mortes) pointant vers un souvenir -.

On comprend parfaitement que cela puisse décevoir les amateurs de puzzle-game, qui attendent de leurs jeux qu’il leur résiste et les fasse réfléchir. Dans The Sailor’s Dream au contraire, la progression n’oppose aucune résistance : on s’y promène comme on tourne les pages d’un livre, en balayant du doigt ses décors interactifs, reliés entre eux par des passages secrets aux noms trop poétiques pour être vrais (escalier oubliés, grenier inaccessible…). C’est aussi là toute la beauté de The Sailor’s Dream, en même temps que sa limite : son monde n’est pas un monde de challenges et de puzzles, ni même un semblant de monde réel, mais un pur monde-souvenir, ou un monde-récit si l’on veut, où l’interactivité se borne à l’exploration d’images et de textes, guidés par la curiosité.

« La mer est toujours plus belle, vue de terre »

Il faut voir The Sailor’s Dream comme une boite à secrets intimes (ceux des protagonistes), fermement scellée au premier regard, et qui se dévoilera île par île, pièce par pièce, objet par objet, comme on ouvre les serrures d’un coffre-fort – en quoi il nous rappelle le fabuleux Gone Home -. The Sailor’s Dream ne feint pas d’être ludique ; c’est un jeu qui affirme que l’interaction peut aussi se passer de challenge (de réflexion ou d’agilité), et servir des fins purement expressives : et à ce titre, c’est une glorieuse réussite. Lorsque le fil du récit commence à faire sens – une triste histoire d’amour, vieille comme le monde -, en émane une émotion de plus en plus vive, qui doit autant à l’impression de s’immiscer dans l’intimité des personnages, qu’aux implications universelles et douloureusement pertinentes du récit.

D’une certaine manière, Simogo invente ici une forme interactive parfaitement adaptée à son récit, emprunt de nostalgie et de souvenirs si brûlants qu’il a fallu les éparpiller en autant d’îles distantes et les mettre en bouteille sous forme de (sublimes) chansons. Apparaissant au rythme d’une par jour (du lundi au dimanche), ces 7 chansons en bouteille sont d’ailleurs une véritable prouesse d’écriture et le cœur battant de cette histoire qui, du coup, pourra paraître bien courte et plate à ceux qui ne prendront pas la peine de les écouter : en ligne droite en effet, on peut boucler The Sailor’s Dream en trois-quart d’heure, jusqu’à une première fin qui ne peut que décevoir, si l’on en reste là.

Pour profiter pleinement du récit, il faudra nécessairement lire tous les textes, écouter toutes les transmissions radiophoniques (une par heure réelle via une modif’ manuelle de votre iDevice), et en miroir, écouter toutes les chansons (une par jour, même astuce), pour s’ouvrir in fine le vrai dernier environnement-mémoire et la digne conclusion de cette histoire. Pour notre part, on en est ressorti en ayant l’impression d’avoir traversé un jeu à la fois court, intense et grand comme la vie. Et si le mot « jeu » vous gêne, on finira bien par trouver autre chose.

Conclusion

The Sailor’s Dream est une expérience précieuse, que l’on ne conseille cependant pas à tous : il faut d’abord être à l’aise en anglais, et ne pas en attendre un puzzle-game, son gameplay se limitant à l’exploration non linéaire de sublimes décors parsemés de courts textes. Mais pour peu que l’on accepte ce postulat à peine ludique, le jeu de Simogo recèle quelque chose de passionnant et de tout à fait novateur : quelque chose comme une nouvelle forme de récit interactif, collage d’images, de textes et de musique recréant la mémoire intime de ses protagonistes, que le joueur visite et réagence au rythme de ses promenades. L’expérience a beau être trop courte, elle tient parfois du sublime et à ce titre, mérite toutes nos louanges.

+
  • Une nouvelle forme de fiction interactive...
  • Belle direction artistique
  • Les sept chansons et le récit émouvant qu'elles tissent
-
  • ...qui peut frustrer
  • Trop court
  • En anglais uniquement
8
Écrit par
Administrateur du site Etoile et champignon. Passionné par les jeux vidéo.

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