Après avoir traversé (presque) tous les jeux majeurs de 2020, nous voici prêt à livrer un top 10 dont la liste n’a cessée de bouger tout au long de l’année, jusqu’au top 3 beaucoup plus indécis qu’en 2019. Signe d’un cru moins intéressant ? Au contraire : entre une poignée d’excellents jeux à gros budgets, deux classiques à maturation lente sortis d’early accès (Noïta, Factorio), et beaucoup, beaucoup de belles surprises, les jeux passionnants se sont tant bousculés au portillon qu’une dizaine de titres n’a pas pu entrer dans la liste – ils figurent dans un article de « mentions honorables » -.
D’une façon générale, on retient de ce cru 2020 qu’il a fait la part belle aux déplacements : d’un côté, ceux exaltant le plaisir de la voltige et de la vitesse, comme dans Ori (hors top), Doom Eternal, ou Hadès ; de l’autre, ceux plus expérimentaux de Tales From Off-Peak, où il est une manière de « changer de musique », ou de Paradise Killer, qui en fait un moteur narratif. Dans tous les cas, un même constat émerge : les jeux ne nous ont jamais autant passionnés que lorsqu’ils inventaient un plaisir de se déplacer et d’explorer leurs espaces, à leur façon singulière.
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10ème : Cyberpunk 2077
On a longtemps hésité à placer Yakuza 7 en fin de liste, pour finalement lui préférer d’un rien Cyberpunk 2077, pris comme simulateur de promenade urbaine incroyablement immersif, dans l’une des villes les plus esthétiquement stimulantes de jeu-vidéo. On n’ignore pas ses défauts, ses bugs de lancement, les grosses légèretés de son gameplay, ni la qualité d’écriture très variable de ses quêtes, dont les bas sont vraiment très bas, bébêtes et vulgaires… mais ses espaces nous ont tant captivés, et leur multitude de points de vue époustouflants arrêtés tant de fois dans notre partie, que l’on doit se résoudre à le reconnaitre : le monde du dernier jeu de CD Projekt nous a enchanté, on a adoré le regarder et l’explorer, et on en redemande.
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9ème : Factorio
Pour complexe qu’il soit, Factorio est au final un jeu de gestion d’une grande pureté, qui pousse ses problèmes logistiques (l’acheminement et la transformation des ressources) jusqu’à leur extrême : de la gestion d’espace à la case près, et une planification élevée au rang d’art, comme on le découvre à la dure en voyant nos premières usines construites au doigt mouillé se transformer en indémêlables sacs de nœuds. La gageure de Factorio, c’est de réussir à nous passionner pour ses problèmes logistiques et productifs, récompensés par un spectacle jamais décevant : celui de voir tourner nos usines en autonomie, monstres de métal avalant des flux infinis de ressources pour les recracher en une multitude de produits dans un envoutant ballet mécanique.
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8ème : Doom Eternal
A notre surprise, après avoir renâclé devant le level-design lourdingue du Doom de 2016, on a beaucoup aimé Doom Eternal, suite plus plaisante à explorer, et élevant au carré ce que l’action avait de si exaltant dans le premier jeu. Densifiée à l’extrême, elle combine ici une composante de performance pure, presque sportive, et un fil tactique à tenir en parallèle pour écourter au maximum les rencontres avec l’ennemi. Conséquence de ce double effort : chaque seconde d’affrontement devient une épreuve tant physique que mentale, qui nous pousse au bord de l’épuisement, mais donne aussi lieu à d’intenses satisfactions lorsqu’on parvient à contenir le chaos ambiant et à faire corps avec l’action.
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7ème : Crusader Kings 3
On est entré dans Crusader Kings 3 en pur néophyte de la « grand strategy » façon Paradox, pour finir totalement séduit par sa proposition : nous faire jouer la grande Histoire du Moyen-Âge sous le prisme de la petite histoire personnelle d’un suzerain, faite de ses drames familiaux, de ses amours et de ses rivalités, autant que de ses guerres et de l’élargissement des frontières de son pays. En découle un jeu qui fonctionne autant sur le mode de stratégie « froide » et mécanique, que sur le mode plus « chaud » du jeu de rôle, maintenant au plus haut notre engagement affectif dans une partie. On n’aurait pas pu rêver relecture plus passionnante de l’Histoire.
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6ème : Noïta
On a souvent dit dans ces pages notre affection pour les jeux qui insistent sur leurs matières, portés par l’intuition qu’elles entrainent une plus forte immersion : le génial rogue-like Noïta ajoute sa pierre à l’édifice, avec son immense monde-matière où chaque pixel possède les propriétés physiques de ce qu’il représente (du bois, de la pierre, de l’eau, susceptibles de brûler, de fondre, de s’évaporer…). Pour le joueur, ce monde hyper matériel devient le lieu d’expériences jouissives, autant que d’une exploration vraiment pionnière de niveaux à chaque fois différents, vierges de toute présence humaine, qu’il est possible de creuser de ses propres chemins de traverse. Sous ses airs de Spelunky chaotique, Noïta se révèle un grand jeu d’exploration et d’expérimentation libres, dont on n’est pas prêt de se lasser.
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5ème : Half Life : Alyx
Avec Half Life : Alyx, Valve réactive sa maîtrise du game-design, juste dosage d’action, de flippe légère, de puzzles et de narration, qui suffirait à tenir un bon jeu de plus ; appliquée à la VR, cette tambouille familière accouche du meilleur jeu de son registre, expérience que le studio organise en « rencontre matérielle » entre son monde et nous, par des décors épatants de présence physique, lieux de visions spectaculaires façon « Guerre des Mondes », mais aussi, à la petite échelle, par un grand nombre d’objets étonnants dont on est incité à se saisir pour les observer sous toutes les coutures, et voir le monde se raconter à travers eux.
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4ème : Demon’s Souls Remake
Hyper respectueux du jeu d’origine, dont il reproduit le level-design et le placement des ennemis, le remake par Bluepoint « se contente » de le sublimer, en le tapissant de textures bluffantes et d’arrière-plans vertigineux de précision. Sous l’effet de cet enjolivement, l’espace semble élargi, et le gameplay original rendu plus précis, faisant de cet ancien-nouveau jeu une merveille d’action moderne, accueillante y compris pour le nouveau venu. Quant à ceux qui portent déjà l’original dans leur cœur, ils seront enchantés de voir leur souvenirs magnifiés par le talent graphique de Bluepoint, dans des moments d’anthologie (le Tower Knight, le Vieux Héros, l’Araignée…) qui excellent à renouer avec l’obsession de FromSoft pour une action qui pèse et qui percute.
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3ème : Paradise Killer
Après nous avoir fait patiner sur sa première heure, l’enquête de Paradise Killer s’est mise à nous captiver : il a suffi de collecter quelques déclarations de suspects et indices discordants pour se sentir totalement immergé dans ses intrigues, dans une fringale de tout voir et de tout comprendre. En libérant l’exploration, Paradise Killer invente rien moins qu’une nouvelle forme d’enquête jouable, qui laisse le joueur associer par lui-même des bribes de récits, sans jamais prémâcher ni ses déductions, ni son interprétation des faits. Qu’il le fasse en déployant en même temps une imagerie odieusement attirante, mêlant paradis du touriste et signes extérieurs de richesse, ne fait qu’ajouter à son brio : on n’avait jamais vu mieux montré dans un jeu le rapport étroit entre classe dominante et mensonge, ou entre société de consommation et enfer productiviste, et cette pertinence de propos fait du bien.
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2ème : Tales From Off-Peak City Vol 1
Si l’on s’en tient à sa forme sommaire, Tales From Off-Peak City Vol. 1 ressemble à un mod amateur, dont l’apparente « laideur » repoussera d’emblée pas mal de joueurs. Il a pourtant été l’une de nos expériences les plus captivantes de l’année, tant pour son monde étrangement chaleureux que pour son excellente musique : chaque lieu y est conçu comme une scène ouverte destinée à accueillir l’une des superbes pistes électro composées par le game-designer Cosmo D (qui signe la meilleure B.O. de 2020). En résulte un monde qui s’éprouve comme un album-mis-en-espace, où le déplacement d’un lieu à l’autre est, en même temps, une manière de marier les rythmes et mélodies en un continuum de grooves infectieux. Et la musique n’est ici qu’un brin, le plus fort, parmi d’autres tout aussi obsédants, tissant le fil très personnel d’une expérience parfois proche de l’hypnose, qui restitue en quelques envoutants espaces-sons le monde mental de son concepteur, pétris de ses obsessions et inquiétudes, entre rêve et cauchemar. Voir le média « jeu-vidéo » employé de façon si libre et expressive a été pour nous une révélation.
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1er : Hadès
Hadès, c’est un peu le jeu parfait sous tous rapports : son déplacement jouissif produit d’excellentes sensations de jeu, dont il semble impossible de se lasser ; ses mécaniques de combat modulaires peuvent se renouveler entièrement à chaque partie, et se découvrir encore par pans entiers même après des dizaines d’heures ; et sa narration se raccorde avec élégance sur sa répétitivité de rogue-lite, en intégrant l’éternel retour à la case départ de notre héros à son histoire de quête vouée à l’échec. En résulte une boucle narrativo-ludique au pouvoir d’accroche phénoménal, que l’on trouve toujours une bonne raison de relancer : pour tester un nouveau build, pour faire progresser l’une ou l’autre de ses histoires, ou simplement pour le plaisir toujours renouvelé de nos danses mortelles avec l’ennemi.