Critique de Yakuza : Like a Dragon, un jeu au grand coeur

Yakuza 7 (sous-titré Like a Dragon) est notre première incursion dans la série, et c’est une belle découverte : celle d’un jeu à forte composante narrative, dont l’histoire emprunte au shônen le tempérament fougueux de son héros ; celle également d’un J-RPG convaincant, plein à craquer de contenus secondaires. Son titre annonçait une plongée dans le milieu de la pègre japonaise, et la promesse est bien tenue. Mais c’est autre chose qui nous reste au terme des 60 heures qu’il nous en a pris pour le terminer : quelque chose comme un vrai morceau du Japon moderne dans ce qu’il peut avoir de plus dur pour les faibles, lesquels auront ici une place de choix.

Le protagoniste, un certain Ichiban, est lui-même une petite frappe au grand cœur, dont on comprend qu’il sera trop gentil pour grimper les échelons de son clan de yakuzas. Après une série d’évènements dramatiques, il se retrouve blessé, possiblement trahi par ce mentor et jeté dans une décharge où résident des clochards, à quelques pas du centre de Yokohama. Cette bifurcation géniale du récit est l’occasion pour le jeu de laisser son intrigue principale de côté pour s’attarder sur notre nouvelle vie de SDF, faite de ramassage de canettes, de fouille de poubelles et de recherche de petits boulots ingrats, qui constitueront nos premières activités.

Si les premières heures nous ont marquées, c’est qu’elles font quelque chose d’à peu près inédit dans un jeu : elles prennent le temps d’accueillir les marginaux des grandes villes, « ceux qui ne sont rien » comme disait l’autre, et de restituer quelque chose de leur quotidien en nous les faisant côtoyer sous les traits d’Ichiban, devenu l’un des leurs, partageant leurs conditions de vie. La concrétude de ces petits récits de misère se ressent comme la marque d’une décence : celle d’un regard qui veille à restituer un peu de la « vraie vie » de personnages empruntés au réel, témoignant d’un parti pris pour les plus démunis que certains des meilleures dialogues rend évident. L’argument selon lequel on serait toujours responsable de son sort y est plusieurs fois répété pour se voir systématiquement dégonflé par un rappel aux circonstances de la pauvreté : « la misère n’est pas un choix », s’emporte ainsi Nanba, notre premier allié parmi les sans-abri, « mais la conséquence d’accidents de la vie qui peuvent faire dérailler les existences » (on paraphrase).

Jusqu’au chapitre 4, les phases de jeu ne cesseront d’attraper la balle au bond, évoquant par éclats les galères de la rue : une mission évoque le ramassage de déchets échangeables contre des repas déjà entamés (quelle affaire !) ; une autre nous fait rencontrer un petit-commerçant que la déprime aura fait se cloitrer dans son local derrière une montagne de poubelles ; un peu plus loin, un étudiant au bord de la crise de nerf nous pousse à le suivre dans une business school surtarifée, promettant un destin de winner derrière ses diplômes bidons. Dans l’un des meilleurs séquences, notre bande de bras cassés se rend à un ersatz de « Pôle Emploi » dans l’espoir de trouver un travail… pour s’en voir recalée faute de pouvoir présenter une attestation de logement. Ce moment désespérant d’absurdité fait vivre l’indécence des attentes du marché du travail à l’égard des plus démunis, dont les conditions d’existences ne permettent aucune des solutions vantées comme « faciles » par ceux à qui tout à toujours réussi.

Voilà ce qu’il y a de jouissif dans le ton du jeu : c’est cet énervement manifeste contre les discours hors-sol qui osent ajouter une couche de culpabilité à la misère. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien si notre premier grand adversaire est un groupe de citoyens ultra-conservateurs, en t-shirt blanc et à la raie bien peignée, qui n’ont pas mieux à faire que de manifester devant les bordels pour demander l’éviction des prostituées hors du centre-ville. Si les scénaristes en font une figure-repoussoir, c’est pour mieux leur rabattre le caquet, et montrer l’indécence de leur jugement envers ceux que la galère a obligé à bricoler des situation de survie à la marge des bonnes mœurs, dans cette fameuse zone grise défendue par le jeu. Il faut louer l’effort de l’écriture à répéter des idées certes toutes simples, (« la misère ne vient pas de nulle part ; on ne se prostitue pas pour le plaisir ; on ne devient pas SDF par paresse « ), mais qui font si souvent défaut dans les discours ambiants, intoxiqués par une morale hors-sujet. Cette obstination est la marque d’un humanisme, et redonne tout son sens à l’idée de héros comme défenseur non pas d’un peuple « flou » et indistinct, mais des plus faibles, c’est à dire des plus pauvres : on aimerait retrouver cette clarté de vue plus souvent dans nos jeux.

Si cette pulsation humaniste reste perceptible au delà du chapitre 4, force est de constater que l’intrigue initiale revient ensuite au galop avec tout son cortège de sac de nœuds : des trahisons se retournent en alliances, des ennemis deviennent des alliés, des figures du passés ressurgissent à grand fracas, ce pendant que l’on essaie de retenir qui est qui, et de tenir ensemble toutes les ficelles d’un scénario qui frôle parfois l’emberlificotement excessif. Certes, les chapitres finaux retombent bien sur leurs pattes et garantisse leur dose de satisfaction (notamment lors d’affrontements joliment mis en scène), mais ils ne nous ont pas empêché de regretter le choc réaliste et l’héroïsme populaire des débuts, dont on aurait préféré qu’il soit le cœur du sujet.

Reste ceci dit une grosse accroche ludique, qui maintient notre engagement dans le jeu jusqu’à sa fin, notamment grâce au socle « RPG » qui réinterprète avec humour le monde moderne des grandes villes japonaises à la mode rôliste : des CSP+ en costume deviennent des « ennemis de base », appelant leur collègues en renfort sur leurs smartphone dernier cri ; des bureaux et restaurants deviennent le décor de donjons, entre réfectoires, bars à cocktails et salles de conf call ; quant aux classes de personnages, du magicien au guerrier, elles sont renommés en « hôtesse », « freelance » ou « sans-abri », chaque job s’accompagnant de ses outils et gestes professionnels spécifiques. Ajoutons que la courbe de progression, bien dosée, n’oblige jamais à grinder, mais oppose une résistance suffisante pour inciter à s’investir dans la pléthore d’activité annexes, certes pas toutes réussies – voir la copie pas folichonne de Mario Kart -, mais régulièrement captivantes, qui renforcent l’accroche d’une partie : le génial mini-jeu pastichant la gestion d’entreprise, où l’échange avec les actionnaire se mue en jeu de combat, nous a ainsi captivé pendant une bonne journée. Yakuza 7, c’est donc beaucoup de choses à la fois, qui font une tambouille à peu près sûre de plaire : un bon J-RPG irrigués de nombreuses activités parallèles souvent prenantes ; une histoire à l’intrigue plus maline que nous, faisant du milieu des yakuza l’arène d’un combat de clans digne d’un bon shônen ; ou encore, et c’est ce que l’on en retiendra, un ensemble de récits regardant dignement ses misérables et leur rendant enfin justice, ne serait-ce que par les mots.

+
  • Un premier quart à l'écriture impeccable, qui prend le parti des misérables
  • La galerie de personnages, tous attachants
  • La structure de J-RPG, très prenante
  • De nombreuses quêtes annexes qui renforcent l'accroche du jeu
-
  • L'intrigue principale aux noeuds indigestes, qui prend le dessus sur la belle aventure "popu" des débuts
  • Un peu de déchet dans la grosse diversité des mini-jeux (le jeu de Kart, l'excès de quêtes fedex)
8
Écrit par
Administrateur du site Etoile et champignon. Passionné par les jeux vidéo.

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