Critique d’Out There : une belle machine à fiction

Critique publiée par Benoît le 04/03/2014 sur Apps-and-play.com, site d’actualités et de tests sur les jeux mobiles en activité en 2014 et 2015.  

Dixième système solaire, 130ème jour d’errance dans l’espace : la coque de mon vaisseau est grandement abîmée et mes cales, presque vides d’hydrogène. Mon absurde voyage parmi les astres n’a pour seule issue qu’une mort certaine. En désespoir de cause, je lance une sonde sur une planète gazeuse pour tomber, par miracle, sur une poche d’hélium. Rasséréné, je peux relancer les machines. 150ème jour, nouveau système : oserai-je m’aventurer sur cette planète-jardin pour tenter de communiquer avec ses natifs, au risque d’exploser en vol ? Ou bien faute de ressource, devrai-je me résigner à sonder les planètes alentours avant de repartir sans demander mon reste ?

Cercle vertueux du gameplay et de la narration

Voici résumée une séquence typique d’Out There, suite de choix cornéliens dont on ne cesse de pondérer les risques et attraits et qui deviennent, immédiatement, la matière même de notre histoire du moment. D’étoile en étoile, la narration est assurée par notre personnage, cosmonaute solitaire décrivant dans son journal les moments marquants de son odyssée. Doigt coupé au fer à souder, irradiation par une super-nova, découverte d’un vaisseau alien ou d’une créature sidérante aux proportions cosmiques : il y rapporte un voyage aussi fatal que joyeux, où vision sublime et désespoir se succèdent en une fraction de seconde.

Pour être une aventure constamment excitante, Out There repose également sur un important volet « gestion des ressources ». Mais si l’on se prend à ce point au jeu – de l’optimisation, du déplacement stratégique -, ce n’est pas pour le plaisir de la pure performance. C’est bien plutôt pour atteindre ce paragraphe de plus, ce nouveau happening magnifique, ce drame inédit qui surviendra peut-être dans le prochain système. Out There nous invite à bien jouer, certes, mais pour mieux presser tout le potentiel narratif contenu dans chaque chaque partie. Toutes ses mécaniques sont d’ailleurs bâties autour de cet enjeu – durer dans le temps, voir une étoile de plus – … à commencer par la gestion du carburant, de l’oxygène et du fer, qui devront être constamment renouvelées à coup de forage et de sondes de planètes, pour éviter la panne sèche, synonyme de « game over ».

Rencontres heureuses, visions sublimes et méditations solitaires

Parmi les évènements « heureux » qui prolongeront le périple, on tombera notamment sur des planètes-jardin, oasis de vie dans le cosmos mortifère : l’occasion de rencontres avec des peuplades aliens dont le langage, d’abord obscur, se traduira en mots connus au fil des retrouvailles. Selon notre réponse, les extra-terrestres nous fuiront ou nous se lieront d’amitié avec nous, nous gratifiant au passage d’une technologie précieuse – outil de terraformation, accélérateur, portail stellaire, bouclier amélioré -. Une fois construites d’un « tap » sur un emplacement vide du cargo – moyennant les bonnes ressources -, elles deviennent, à leur tour, sources de nouvelles rencontres, de nouveaux évènements, de nouveaux choix fatidiques.

L’une des plus grands forces du jeu, c’est qu’il fait de la mort un pilier de l’expérience. La vie dans l’espace, nous dit Out There, est à la fois fragile est brève, et l’occasion d’apprendre de ses erreurs. D’où vient une obsession : celle de relancer sans cesse une partie pour tenter une nouvelle stratégie, pour risquer de nouveaux coups de dés – du genre, « tenter un run en traversée de trous noirs ou en détruisant des planètes vivantes » -. On regrettera juste que la mort viennent parfois nous cueillir un peu vite, lorsque l’aléatoire fait s’enchaîner les coups durs de façon ingérable – les moins patients sont prévenus.

Revers constant de nos odyssées tragiques, la mort infuse la prose du héros d’une mélancolie tenace, et ses méditations de belles fulgurances poétiques. Tandis qu’il progresse vers l’étoile « finale », il se perdra notamment en réflexion sur le devenir de l’humanité, si elle devait recevoir la précieuse technologie alien qu’il détient dans ses cales : en tirera-t-elle le pouvoir de coloniser la galaxie, « la boursouflant d’hommes éternels et vaniteux » ? Ou bien sera-t-elle vouée à « la surpopulation, à l’extinction, à la folie » ? Aucune issue ne semble désirable, questionnant jusque au bien fondé de notre quête. Out There regorge de séquences de ce genre, où le récit s’élève au dessus des petits enjeux ludiques, pour frôler le vertige métaphysique.

Conclusion

En équilibre entre gestion minutieuse et fiction interactive, Out There invente son propre moteur de narration vidéo-ludique. Rien de scripté ni de pré-programmé dans le titre de Mi-Clos Studios : l’odyssée singulière que recèle chaque partie découle uniquement de nos choix face à l’aléatoire, sans que le gameplay ou le récit ne prennent jamais le pas l’un sur l’autre. Partant de simples images fixes et lignes de textes, le titre génère un riche imaginaire, et fait sourdre de ses enjeux ludique une mélancolie tenace : une pépite des supports mobile, à ne pas manquer.

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Écrit par
Administrateur du site Etoile et champignon. Passionné par les jeux vidéo.

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