Critique de Haven : quand l’amour s’exprime par le jeu

Haven nous a fait nous prendre conscience qu’un jeu, pour être bon, n’a pas forcément besoin d’exceller dans toutes ses parties : il lui « suffit » de valoir plus que leur somme. Dans un bon jeu, certains morceaux pris indépendamment peuvent frustrer ou paraitre insuffisants, mais l’ensemble auquel ils participent est susceptible de les dépasser. Ce type de transformation n’est possible que si le game-design sait clairement ce qu’il veut, quelles expériences il veut préparer pour le joueur, ce vers quoi il veut converger – ce peut être une histoire à raconter, des situations à faire vivre, des émotions à exprimer -. C’est le cas de Haven, dont les emprunts à plusieurs genres (aventure, J-RPG, survival…) ne sont pas toujours heureux sur le plan mécanique, mais fonctionnent au moins de concert comme moyens d’exprimer un certain état de couple, et plus spécifiquement d’un couple-qui-commence, dans ce qu’il peut générer d’émotions fluctuantes, de paroles échangées et de situations partagées.

L’histoire prend pour contexte un futur où les gens ont perdu le droit de choisir leur amour, et doivent accepter le conjoint décidé pour eux ; une situation que nos héros tentent de fuir en se cachant sur une planète inhabitée, seul moyen de vivre leur romance racontée ludiquement par un mélange d’exploration libre, de combats contre la faune locale, façon « J-RPG » et de beaucoup de dialogues.  A la petite échelle du « fun », Haven se joue assez tièdement, sans déplaisir ni sans grande satisfaction : on a globalement apprécié ses phases exploratives, qui laissent découvrir librement les différents ilots constituant sa planète, tantôt à la recherche de pièces pour réparer notre vaisseau, tantôt pour nettoyer des flaques de rouilles polluant le sol : il suffit pour ce faire de « flotter » au-dessus de la boue pour la faire disparaître, dans un rappel lointain de Super Mario Sunshine, et d’affronter les animaux salis pour finir de « purifier » les îles.

Si la tâche en elle-même peut suffire à motiver sur la durée (il y a quelque chose d’intrinsèquement satisfaisant à « nettoyer des surfaces » dans un jeu), les contrôles à proprement parler ne sont pas exempts de tout reproche : l’inertie et la mollesse des déplacements donne l’impression d’un mauvais contrôle sur les personnages… ce que le jeu semble assumer, puisqu’il fait de la « reprise » de trajectoire l’un de ses gimmicks, par le « cassage » des virages et le déclenchement de demi-tour instantanés. On croit comprendre l’idée qui sous-tend cette approche : faire « ressentir » le déplacement sur coussin d’air, en tirer de petits challenges ludiques (tels que « tenir sur des itinéraires précis, aux angles serrés », ou « nettoyer efficacement les nappes de rouilles »). Mais la pratique s’avère peu amusante, d’autant que sur le registre du gameplay en « course d’élan », Haven convainc moins qu’un Journey ou un The Pathless, qui marient de façon plus convaincante impression de contrôle et ivresse de la vitesse.

Ce constat d’un fun modéré vaut aussi pour les combats, où chacun des deux personnages est dirigé simultanément via l’un des sticks directionnels (à la manette), orientables dans quatre directions pour déclencher quatre actions de base, à la façon d’un pierre-papier-ciseau consistant à trouver la bonne attaque pour chaque ennemi. Ces affrontements n’étant pas le cœur du jeu, on s’y prête de bonne guerre, sans oublier non plus les frustrations qu’ils génèrent, au rang desquelles : ne pas pouvoir choisir sa cible, ou s’embourber dans des affrontements à rallonge où les créatures se réveillent avant qu’on ait pu les pacifier.

On pourrait s’arrêter là, faire une moyenne arithmétique, et décider sur ce critère que Haven ne mérite pas plus d’attention que cela, mais ce serait rater ce qui fait sa rare qualité. Une fois dites les limites du jeu, ne reste plus en effet qu’une franche réussite dans le cadre du projet qu’il s’est fixé : raconter le quotidien d’un jeune couple qui s’aime, explorer la gamme d’émotions qui l’entoure et se manifestent tantôt par la parole, tantôt par des animations montrant les amoureux se prendre par la main en pleine course, s’embrasser après un instant d’inaction de notre part, ou amorcer un câlin dont le jeu fera pudiquement l’ellipse.

Ces manifestations du lien sont le vrai sujet de Haven : plus que le degré de fun ressenti, ce qui prévaut quand on y joue et qui le rend si plaisant, c’est sa capacité à restituer presque à chaque instant et dans toutes ses phases de jeu le climat d’une relation amoureuse, par une attention précise aux paroles et aux gestes qui la constituent, dont l’intensité éteint le reste du monde, faisant de la relation elle-même une sorte de lieu en soi – une idée que le jeu prend d’ailleurs à la lettre, en offrant aux amoureux leur lieu rêvé, une planète rien qu’à eux où il devient possible de vivre d’amour et d’eau fraiche, accaparé seulement par des pensées de l’autre -.

La gageur, c’est que l’écriture déroule ses situations sans niaiserie, montrant autant les marques d’affections que les fléchissements sentimentaux, lors de dialogues qui explorent les sujets typiques d’une relation naissante : le cas des ex évoqués au détour d’un souvenir, la peur que l’autre se lasse ou se détache, l’inquiétude du retour d’un rival, ou plus positivement, ce qui fait l’on se sent bien l’un avec l’autre, le charme que l’on se trouve, les trucs que l’on partage et qui mettent sur la même longueur d’onde… Autant de situations et paroles échangées qui dessinent avec précision les contours d’un paysage affectif, dont on se retrouve moins « joueur » que témoin et complice bienveillant, accompagnant les héros dans les moindres de leurs élans sentimentaux. Quand bien même Haven n’excelle jamais ludiquement, cette belle fibre affective en fait un jeu attachant ; elle montre qu’une expérience ludique, pour être intéressante, n’est pas obligée de jouer la compétition du « meilleur gameplay », et peut simplement se concentrer sur l’expression honnête d’un « quelque chose ».

+
  • L'écriture, qui restitue avec finesse le lien amoureux des personnages
  • Les différentes phases de jeux, utilisées comme canaux "expressifs" (via les dialogues, l'animation...)
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  • Déplacements un peu laborieux
  • Combats trop simples, virant souvent à la corvée
7
Écrit par
Administrateur du site Etoile et champignon. Passionné par les jeux vidéo.

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