Critique de 80 Days, merveille du jeu narratif

Critique publiée par Benoît en 2014 sur Apps-and-play.com, site d’actualités et de tests sur les jeux mobiles en activité en 2014 et 2015

80 Days représente une nouvelle étape à la fois logique et magistrale pour le studio Inkle, a qui l’on doit les excellents Sorcery! Partant du Tour du Monde en 80 Jours de Jules Verne, dont il reprend la trame et les protagonistes, il se réapproprie entièrement le matériau d’origine via un foisonnement de récits et d’imaginaire,s entre le steam-punk débridé et de vrais morceaux de l’Histoire du 19ème, siècle de l’essor industriel au seuil des guerres mondiales : admirablement bien écrit et magnifiquement présenté, 80 Days est, tout simplement, l’une des meilleures nouvelles interactives jamais sorties sur iOS.

Partie « gestion » légère mais amusante

On y incarne Passepartout, valet du british Phileas Fogg qui, comme dans le livre de Jules Verne, s’engage dans un voyage autour du globe après avoir parié qu’il pourrait boucler la boucle en moins de 81 journées… voyage dont les détails pratiques reposeront bien sûr sur nos épaules.

On aura la charge des finances, de la santé fragile de notre patron et, surtout, du choix de l’itinéraire de ville en ville, dans l’objectif d’optimiser le trajet au maximum. Ainsi tracera-t-on notre route sur une élégante mappemonde en 3D figurant les 144 villes du jeu, où les trajets seront symbolisé par un croquis représentant notre mode de transport du moment (éléphant mécanique, voiturette, zeppelin, etc…). A l’arrivée dans une nouvelle cité, s’engage un petit rituel : on commence par explorer les environs, option qui dévoile de nouvelles routes au terme d’un court récit à choix multiples. On peut aussi faire un crochet vers la banque pour y faire un emprunt – moyennant un temps d’attente relatif à la somme demandée.

A ce titre, l’option la plus efficace et ludique pour renflouer ses caisses sera encore le marché, où acheter des objets à revendre ensuite à prix gonflés : chaque item est en effet annoté de la ville où sa revente rapportera le plus ; manière de guider le voyage autour d’un objectif concret, quitte à contraindre le joueur à des détours considérables : on achètera par exemple une pierre précieuse à Berlin, revendable à Dubaï à prix d’or. Quid de notre projet de voyage en transsibérien vers le Kamtchatka ? Ce sera pour une prochaine partie : s’improvise une traversée aventureuse du Moyen-Orient, qui fera perdre une dizaine de jours pour gagner plusieurs milliers de livres, sans lesquels notre voyage aurait risqué de végéter des semaines dans un hôtel miteux de Vladisvostok…

La meilleure nouvelle interactive sur iOS

Ceci dit, guider son voyage par la revente ne s’avérera pas toujours aussi rentable : les prix proposés peuvent varier grandement et le temps perdu, ne pas mériter la chandelle in fine : certains joueurs se sentiront privés de maîtrise par cette part de hasard, et ils n’auront pas tort. 80 Days est moins un jeu de gestion financière qu’une nouvelle interactive enrichie d’un peu de gestion light : l’arbitraire y joue une part aussi importante que dans nos vieux Livres Dont Vous Êtes le Héros, qui n’excluaient pas d’avantage les choix malchanceux. En l’occurrence, cela ne nous a pas gêné : gagner ou non le pari initial s’avère moins important que le satisfaction de vivre une grande aventure riche en péripéties.

Notre meilleure partie fut ainsi celle où l’on se retrouvait à J-7 en Louisiane, pour finir par poser le pied à Londres une poignée d’heures avant la fin du décompte … après avoir complètement raté notre mutinerie sur un paquebot trans-pacifique, s’être évadé d’une prison japonaise, avoir traversé l’Inde à dos de « ville-sur-pattes-mécaniques » (moment le plus fou et poétique de tous nos runs), et on en passe… ce qui nous ramène à la plus belle des qualités de 80 Days, cette façon de faire surgir des bulles de récit passionnantes, des imageries folles, des rencontres mémorables au détour d’un trajet.

Et les moments marquants sont légions : on pense à cette rencontre avec une ouvrière, nous faisant visiter les bas-fonds de la ville ambulante ; où encore, à ces voyageurs évoquant les prémices d’un conflit en Europe, tandis que défilent sous les fenêtre les contours noirs et monstrueux des premières villes-usines ; on pense enfin à ces rencontres étranges avec les membres de la Guilde des Artificiers, ingénieurs-magiciens entourés de troublants automates : par ses scénettes et images fortes, 80 Days excelle a dépeindre une ère victorienne piégée entre l’ivresse du progrès et les velléités conquérantes des grandes nations d’Europe, exhalant un parfum de conte de fée steam-punk autant que de poudrière.

Conclusion

Il y a tout cela dans 80 Days : le plaisir du voyage autour du monde, via un gameplay mêlant « nouvelle interactive » et gestion ; la finesse des descriptions des villes, qui installent un vrai sens du lieu visité ; les innombrables péripéties dont on se demande sans cesse si elles auront raison de notre pari… et l’impression d’être, nous autre joueur, comme un électron libre au cœur d’une Histoire fantasmée et tumultueuse, capable de faire « dérailler » à nous seul le cours des événements et de déclencher une guerre sur un malentendu. Pour toutes ces raisons, pour l’élégance de son écriture et la splendeur de sa présentation, le titre d’inkle est une vraie merveille, l’un de nos jeux préférés sur iOS cette année…  mais un titre que l’on ne conseille cependant qu’aux anglophones, en l’absence d’une traduction française.

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Écrit par
Administrateur du site Etoile et champignon. Passionné par les jeux vidéo.

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