Critique de Grim Fandango Remastered, un classique revigoré

Texte publié à l’origine en juin 2015, au sujet de la version iPad.

De tous les classiques créés par Lucasarts, Grim Fandango est celui qui méritait le plus une réédition HD – et celui qui en avait le plus besoin -. Point culminant de l’âge d’or du studio dans les 90’s, c’était aussi la production la plus narrativement ambitieuse de Tim Schafer, et l’un des premiers jeux d’aventure en 3D précalculée (un an avant The Longest Journey de Funcom). 3D qui avait logiquement pris un sérieux coup de vieux en 17 ans, et que cette nouvelle version dépoussière comme il se doit : idéal pour (re)découvrir l’une des plus mémorables odyssées vidéoludiques de l’Histoire.

Notre avis sur le jeu d’origine

Si Grim Fandango a tant compté dans le genre « aventure », c’est qu’il était l’un des premiers à ambitionner plus qu’une simple suite de puzzles et de gags, tenus ensembles par une histoire cartoonesque (école Maniac Mansion). Prolongeant l’ouverture d’un Full Throttle (écrit par le même Tim Schafer), l’équipe livrait ici l’un des premiers mondes ludiques « clé en main », doté d’une logique propre, de sa culture, de son économie, de sa géographie étrange, où les puzzles ne s’imbriquent qu’après-coup : d’où l’impression de grand cimentage narratif, qui rend le titre passionnant.

C’est d’abord dans cela que l’on plonge, dans un monde ample et fascinant livré à notre découverte, et dont l’acte de naissance semble être une simple question : « à quoi pourrait ressembler un purgatoire ? ». Hypothèse de Grim Fandango : à un monde matériel-bis, où chaque défunt devrait valider son accès au paradis ou travailler pour y gagner sa place. L’un de ces « jobs » rédempteurs, imagine Schafer, pourrait justement être « agent de voyage » vers ce paradis… et le joueur incarner l’un de ces agents commerciaux, chargé de son propre salut en évaluant celui de ces clients : pitch scénaristique génial qui, de fil en aiguille, ouvrirait sur une grande odyssée dans le pays des morts, en 4 actes et sur plusieurs années.

Voilà ce que l’on adore dans le jeu : tout son monde semble y découler de simples associations d’idées, de « et si… ? » un peu fous mais que l’équipe de développement prend narrativement et formellement au sérieux, portés par une confiance dans les puissances de l’imagination : confiance qui fait « tenir ensemble » des imaginaires très divers en combos aussi improbables que savoureux, comme cette première ville en buildings new-yorkais « début-20ème », drapée de motifs incas et d’une atmosphère de fête mexicaine. A ce titre, il faut louer l’attention maniaque aux petits détails, aux éléments décoratifs omniprésents qui donnent au monde sa consistance, et le maintiennent dans un subtil équilibre entre les styles, d’une région à l’autre.

Globalement réussis, les puzzles paraissent aujourd’hui un peu datés ; un certain nombre d’entre eux font monter la frustration par les nombreux aller-retours qu’ils imposent ou leur logique vraiment tordue. Ces griefs ne suffisent cependant pas à divertir du principal, Grim Fandango restant de bout en bout une aventure de haute tenue marquant ses joueurs par ses qualités : ses environnements venus d’ailleurs, ses attachants personnages évoluant au fil d’une structure étonnante en 4 actes, ces variations rapides de tons et d’atmosphères.

A la sortie de l’acte 1, par exemple, le jeu bascule sur un deuxième chapitre magistral (point culminant de l’aventure), où l’on retrouve notre héros dans une toute autre situation, habitant un port au bout du monde, noyé dans la brume et les lumières néons de bars fréquentés par une foule interlope de marins et de révolutionnaires à béret. Ce sera le point de départ d’un long chapitre aux énigmes souvent brillantes, dont la trame mélancolique et les ramifications fictionnelles marquent durablement la mémoire. Si l’histoire se perd parfois dans des détours étranges – mais pas sans charme (cf. le bois des démons, le pénitencier, la phase sous-marine), Grim Fandango réussit globalement ce tour de force d’une cohérence de ton (polar noir, imagerie mexicaine et fantaisie macabre) qui, couplé à un focus marqué sur les personnages et leur fil dramatique, ouvrait la voix à une nouvelle sorte de jeux d’aventure « narratifs » plus matures, plus immersifs et, in fine, plus émouvants.

La réédition HD en question

D’un point de vue technique, le rehaussage visuel donne au titre un coup de frais qui le rend tout à fait acceptable pour nos regards « modernes ». Exit les bonshommes aux contours flous : leur modèle se retrouve joliment affiné, leurs traits faciaux gagnent une netteté et une expressivité inédites, et les nouveaux effets de lumière dynamique soulignent subtilement leur relief. D’une certaine manière, on a l’impression de découvrir enfin le Grim Fandango tel qu’il était imaginé au départ.

Seule réserve : les environnements, bien que retouchés, ne profitent pas du même niveau de rehaussage que les modèles – certains restent même assez flous -, ce qui est logique : des décors précalculés sont d’une certaine manière « figés », donc moins facilement améliorables que de la 3D ; d’où l’impression d’un décalage formel assez marqué entre les personnages et leur environnement. Ceci étant dit, on s’en accommode sans mal tant le jeu y gagne globalement au change.

Quant au maniement 2.0, il progresse autant, sinon plus que l’aspect visuel : à la place du contrôle-clavier d’origine, qui donnait l’impression de diriger un tank – son plus gros défaut à sa sortie -, le jeu se dote enfin du gameplay de point ‘n clic qui lui semblait destiné, idéalement adapté aux smartphones et tablettes. Il suffit maintenant de tapoter sur un endroit pour s’y déplacer et de toucher un objet ou personnage pour interagir avec lui, via une interface en icônes tactiles – prendre / voir / activer / parler (si l’on cible un PNJ). On progresse du coup sans heurt, sauf en 2 ou 3 occasions où des énigmes pensées pour le vieux mode de contrôle deviennent peu commodes au tactile (on pense notamment à ces phase avec le chariot élévateur ou la hache, pas facile à placer avec précision).

Pour honorer son statut de jeu-culte, Double Fine n’oublie pas d’intégrer quelques bonus savoureux, comme la vieille version en basse résolution vers laquelle on peut basculer en direct dans les options, ou encore les nombreux commentaires de développeurs, souvent intéressants (à activer dans les hot spots indiqués). Le doublage intégral en V.F. est bien sûr de la partie, l’occasion de constater son impressionnante qualité pour l’époque (tous les acteurs sont non-seulement très pro, mais ont aussi la voix parfaite pour leur rôle, ultra-rare en 1998). Quant aux superbes musiques mêlant jazz mélancolique et mélodies sud-américaines, elles n’ont jamais aussi bien sonnées que dans cette version réorchestrée.

Conclusion


Chef d’oeuvre intemporel, Grim Fandango reste aujourd’hui une merveille d’étrangeté, drôle de voyage dans un pays des morts follement imaginatif auquel le rehaussage en HD donne une seconde jeunesse. Long de plus de dix heures et captivant de bout en bout, si l’on excepte les quelques moments de frustration qu’il entraine, le titre profite en outre d’un nouveau mode de contrôle en « point and clic », idéalement adapté aux supports nomades, et des extras de la version PC (excellents doublages en français, version old-school en option, commentaire des développeurs). Un indispensable pour tout amateur du genre.

+
  • Ecriture excellente, imaginaire foisonnant & personnages attachants
  • Réhaussage HD convaincant, nouveau gameplay bien adapté
  • Doublage FR & commentaires des développeurs
-
  • Peu d'améliorations sur les décors
  • Quelques énigmes et environnements en deça
9
Écrit par
Administrateur du site Etoile et champignon. Passionné par les jeux vidéo.

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