Critique de Call of the Sea : charmant voyage en pays d’énigmes

Call of the Sea est un agréable jeu d’énigmes « sorti de nulle part », comme l’annonçait le nom de son développeur Out of the Blue, et qui montre d’entrée de belles qualités, notamment dans sa structure générale : chacun de ses chapitre fonctionne comme une sorte de poupée-gigogne, en petits puzzles enchâssés dans une plus grande énigme, dont la résolution ouvre sur la suite d’une aventure qui se vit elle-même comme un seul et grand mystère.

On y incarne une certaine Nora, jeune professeure partie dans le Pacifique à la recherche de son époux disparu lors d’une expédition. Dès les première minutes, on la découvre atteinte d’une maladie au remède inconnu, assaillie de cauchemars : ils seront un pont d’or vers le cortège de visions lovecraftiennes qui l’attendent par la suite, faites des vestiges d’une civilisation perdue, de temples cyclopéens à la gloire d’obscurs dieux inconnus, de ciels nocturnes d’un autre monde, et d’une substance noire susceptible de transformer ceux qu’elle touche en furies meurtrières… autant de thèmes qui n’auraient pas jurés dans un jeu d’horreur imparable, mais que Call of the Sea préfère mobiliser plus tranquillement, sur le mode du conte de fée, dans une atmosphère qui évoque parfois les films de Guillermo del Toro.

Call of the Sea se traverse ainsi sans tension, bien qu’au contact d’enjeux dramatiques qui ne cesseront de se compliquer à mesure que notre trajectoire se révèle sans retour. C’est d’ailleurs l’une de ces réussites : son histoire, toujours prégnante au travers des énigmes, ne cesse de se raconter par les brefs commentaires de notre héroïne sur des photos retrouvées, des appareils étranges, des éléments saillants du décor, ou par la lecture des notes que les malheureux membres de l’expédition précédente auront laissées dans des campements abandonnés, de funeste augure.

De ce postulat narratif (une mission de sauvetage de plus en plus mal embarquée) racontée par le décor et les soliloques de Nora, le scénario bifurque vers des rivages plus fantastiques, qui seront familiers aux amateurs de Lovecraft. L’écriture se révèle alors concise, rebondissante, en prise avec le vécu de notre héroïne qui continue de nous faire partager ses exaltations, dans un écart grandissant avec nos propres impressions (ce qui lui arrive nous la rend de plus en plus étrange). Le jeu excelle alors, par le biais de ses interventions, à faire sentir l’excitation de la découverte de lieux cachés de toute éternité, presque vierges de toute présence humaine ; ce sentiment infuse l’ensemble des six beaux environnements, un par chapitre, d’une étrangeté de plus en plus radicale à mesure que l’on plonge au cœur de leurs improbables structures.

Sur le plan ludique, les puzzles de Call of the Sea fonctionnent de façon statique, comme dans un Myst ou un The Witness, a minima (même si la comparaison avec ce sommet du genre n’est, forcément, pas flatteuse pour Call of the Sea, plus classique) : on y manipule des machines énigmatiques et interfaces de moins en moins humaines, dont le principe à chaque fois singulier assure le renouvellement des situations – aucun puzzle n’est resservi d’un chapitre sur l’autre -. Les énigmes courtes, qui sont la chair du jeu, ne sont jamais ni trop simple, ni trop difficiles, et profitent d’un système d’indices bien géré qui entretient notre engagement dans le jeu : même avec cette aide, aucune épreuve ne se boucle en un simple claquement de doigt, ni ne résiste à quelques minutes d’une inspection approfondie.

Mais ce sont les grandes énigmes de fin de chapitre que l’on retient le plus : on pense, entre autres, à cette belle épreuve de la fin du chapitre 3, qui repose sur les informations glanées dans les autres sous-énigmes du niveaux, et conduit à la calibration d’un orgue géant taillé dans une falaise pour lui faire jouer un air bien précis, une sorte de « Sésame Ouvre Toi » récompensé par l’apparition spectaculaire d’un nouveau chemin, le tout dans une hallucinante et tempêtueuse scénographie.

Si l’on excepte le dernier chapitre, dont le principe logique est un peu trop étiré dans le temps, ce sont des moments comme celui ci qui font la marque de Call of The Sea : leur somme nous laisse l’impression d’un beau voyage dans un monde d’énigmes et de signes à interpréter, entre classicisme sage et carré d’une formule « à la Myst » et maîtrise d’un game-design moderne, infusé de ce qu’il faut de narration pour captiver.

+
  • Scénario efficace, en prise avec les émotions de l'héroïne
  • Le décor joli et étonnant, inspiré par les récits d'aventure de Lovecraft
  • Les énigmes presque toutes distinctes, à la difficulté bien dosée
-
  • Le dernier chapitre un poil moins bon, qui ressasse une mécanique pour prolonger la durée de vie
7
Écrit par
Administrateur du site Etoile et champignon. Passionné par les jeux vidéo.

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