Ne connaissant pas le premier Spelunky, je ne pourrai donc pas comparer sa suite à l’original, passés les traits communs qu’ils partagent (le fond du game design, des boss, des thèmes des mondes et quelques pièges et ennemis). Au delà du possible effet de redite, que je laisse aux habitués le soin d’estimer, Spelunky 2 m’a surtout frappé comme un brillant jeu-à-système, tenu par une physique omniprésente, l’idée que tout peut y devenir un objet jetable et que chaque parcelle de décor peut-y être détruite (à la bombe, à la pioche…) : de manière souvent nouvelle et imprévisible, ces composantes se combinent en une infinité de situations émergentes, et font du jeu une « machine à produire des épreuves » assez géniale.
Jeu d’action-plateforme ultra-précis dans l’esprit des Mario 2D, Spelunky 2 est bâti sur le principe du rogue-like, avec level-design procédural, ennemis stéréotypés et permadeath (mort définitive). Chacun de ces traits de design configure l’expérience de manière très réfléchie, dans le sens d’un challenge tendu à l’extrême : par la génération aléatoire des niveaux, le jeu empêche de connaître à l’avance le placement des dangers et de jouer « de mémoire ». On ne peut donc qu’y progresser qu’à la dure, en manœuvrant chaque moment avec adresse et le plus de lucidité possible. Le comportement des ennemis, que l’on finit par connaître et anticiper, permet toutefois d’aborder le jeu de façon stratégique : pour éviter de mourir par trop de précipitation, on comprend vite l’importance d’observer l’agencement des dangers pour choisir soigneusement ses prochaines actions. Quant à la mort permanente, qui sanctionne chaque fin de partie d’un retour à la case départ, elle fait peser sur nos épaules la responsabilité de ne pas gâcher notre run et notre temps, en l’absence de sauvegarde pour enregistrer un capital « déjà-joué » (même s’il est possible d’ouvrir des raccourcis). Ainsi cadrée par les règles du rogue-like, une partie menée à son terme peut tenir en moins d’une demi-heure, pour peu qu’elle ne soit pas émaillée de maladresse ni de mauvais choix fatal, ce qui tient de l’exploit tant les occasions de mourir sont nombreuses (sur des pics, dans la lave, pris dans l’une de ses folles réactions en chaînes dont le jeu a le secret).
Sur quoi miser, alors, pour réussir un run ? Dans Spelunky 2, la pratique tient en équilibre entre trois pôles : le hasard du procédural, la qualité de nos choix, et la force de notre volonté. La seule part qui ne dépend pas de nous, c’est la génération des niveaux, gérée ici de façon exemplaire : suivant une approche finement canalisée par un ensemble de règles, l’algorithme accouche de niveaux toujours jouables et intéressants, souvent élégants dans leur articulation, jamais ponctué d’impasse ni foncièrement injustes. Même les agencements les plus défavorables restent manœuvrables si l’on s’en donne les moyens. Sur l’ensemble de nos parties, toutes les portions ont proposé au moins une épreuve consistante, et tenu leur juste place dans le très bon tempo d’une partie : signes de l’excellence d’un level-design procédural qui a trouvé le dosage idéal entre hasard et intentionnalité, en l’occurrence, celle de son concepteur Derek Yu dont il ne nous étonnerait pas que la formule magique soit étudiée dans les écoles de game-design.
Deuxième pilier du « bien jouer » dans Spelunky 2, il faut sans cesse chercher le meilleur choix parmi les options disponibles, et qui peuvent faire ou défaire une partie : doit-t-on sortir d’un niveau dès que possible ou bien risquer une exploration plus complète pour l’essorer de ses ressources ? Faut-t-il sortir avec le chien pour gagner son point de vie, ou bien conserver la précieuse arme que l’on aura réussi à trouver (puisqu’on ne peut porter qu’un objet à la fois) ? Faut-il tenter de tuer le marchand pour récupérer son fusil à pompe, et risquer la rencontre avec ses acolytes qui nous attendront, furibards, à chaque sortie de niveau ? Chaque moment de jeu contient son choix cornélien, qui nous fait nous sentir totalement responsable de ce qui nous arrive par la suite.
Le dernier ressort du « bien jouer », c’est la force de notre volonté, l’intensité de la concentration, la quantité d’énergie que l’on parvient à déployer pour accomplir nos plans de jeux (à supposer qu’ils soient bien ajustés) : s’est on vraiment donné les moyens de les mener à bien ? C’est la variable la plus fascinante selon nous, susceptible à elle seule de nous conduire à l’échec alors que tous les autres voyants étaient au vert, que le hasard algorithmique nous souriait et que nos choix n’étaient pas téméraires : nombre de nos parties ont rencontré une fin précoce parce que l’on a pris tel franchissement à la légère, ou que l’on s’est déconcentré au mauvais moment, causant une mort stupide souvent suivie d’une intense auto-flagellation (mes excuses aux copains de Discord qui en ont subit les échos…).
La difficulté de Spelunky 2, bien que pointue au point parfois de nous conduire à deux doigts de l’écœurement, laisse toujours percevoir la part de responsabilité qui nous incombe. C’est d’ailleurs ce qui maintient l’envie de relancer le jeu sans se lasser pendant des semaines : on finit par se dire qu’il aurait suffit de faire plus attention, qu’en veillant à telle nouvelle chose, le run finira par passer. Le plus souvent, l’échec créé un un élan positif, et l’erreur qui l’a causée ressert le regard sur un nouveau danger. A l’inverse, il peut aussi être ressenti comme incroyablement brutal quand il douche les espoirs d’une belle partie pleine de bombes, de cordes, du shotgun et de la cape, qui se met à dérailler pour l’une ou l’autre raison. Selon notre humeur du moment et le degré de notre fatigue, le retour au monde 1-1 déclenchera tantôt l’envie de s’insulter soi-même et d’arrêter le jeu tout net, tantôt celle de repartir immédiatement à l’assaut de la montagne.
Au bout du compte, le sceau de justesse mécanique dont est frappé le jeu fait reposer la réussite sur les seules questions de nos choix et de notre application à les accomplir. En ceci, Spelunky 2 est un représentant du jeu-vidéo dans sa forme la plus pure, de celles qui mettent brutalement le joueur face à lui-même et jette l’éclairage le plus cru sur ses capacités à bien choisir et bien agir – c’est à dire, de façon efficace. Le voyage qu’il nous propose, cruellement difficile, appelle une transformation qui doit s’opérer en nous, pour nous rendre capable de tenir l’intense concentration requise par les dizaines de minutes d’une partie. Ce voyage vers le skill et la zone, nous ne l’avons pas encore terminé à l’heure où nous écrivons cet article (nous n’en sommes qu’au boss du monde 4 sur 6), mais une chose est sûre : la plaisir pris à tracer notre route au milieu de ce grand barnum rempli de dangers et orchestré par une physique aussi rigoureuse que folle nous motivera encore longtemps à relancer la petite partie quotidienne.