Développé en solo par un certain Gareth Damian Martin, In Other Waters est un bel exemple de jeu narratif réussi, qui parvient à raconter une histoire prenante tout en construisant un espace explorable avec une remarquable économie de moyens. Rappelant lointainement les histoires interactives, In Other Waters propose de suivre une biologiste explorant les fonds marins d’une planète entièrement couverte d’eau, représentée par un double canal d’informations : la carte et le texte.
La planète en question se confond d’abord avec la carte topographique, qui tient lieu d’espace explorable et structure notre imaginaire par ses courbes de niveaux évoquant des paysages tout en récifs, creusés d’abysses infinis. Les détails ne sont jamais montrés : chaque point d’intérêt est retranscrit à travers les yeux de l’héroïne, par de courts textes que l’on dévoile en scannant les environs. La gageure, dès lors, c’est d’avoir réussi à créer une forte immersion par le seul effet de ce monde décrit par bouts d’écrits épinglés sur une carte, qui modèlent pourtant un imaginaire aussi précis qu’évocateur.
D’une certaine manière, le jeu s’épuise tout entier dans cette interface interposée entre le joueur et un monde dont la matérialité n’est qu’évoquée, jamais montrée ; mais cette présentation, loin d’être un frein à l’immersion, est en vérité une manière astucieuse de s’affranchir d’un budget serré : ce n’est en effet pas l’héroïne que l’on incarne, mais l’I.A. qui administre sa combinaison de plongée, aux commandes d’une interface représentant l’environnement et les actions possible par une carte et des icônes qui convergent vers une même abstraction formelle, quelque chose comme un bouillon de pure géométrie décliné en aplats de quatre ou cinq couleurs. Au delà de son attrait, cette interface minimaliste n’est donc pas qu’une coquetterie : elle schématise un monde et en dessine littéralement les contours, laissant l’imaginaire du joueur achopper sur les descriptions pour compléter les tableaux.
De fait, cette approche entraine une grande immersion : sur fond de mélodies toutes en nappes éléctro et bruissements bulleux, on se retrouve complètement happés par l’exploration, au hasard des points explorés et des bouts de texte lus, dont la combinaison singulière est la source d’une sorte de poésie émergente, dépendant de l’ordre des points observés. Il faut dire que le récit en toile de fond est bien mené : il raconte la recherche d’une collègue disparue dont on comprend qu’il s’agit aussi d’un ancien amour, infusant l’exploration d’une pulsation sentimentale de plus en plus puissante.
Au-delà de l’enjeu consistant à se frayer un chemin entre les « lieux d’intérêts » du récit, le climat calme et relaxant du jeu permet aux petits bouts de texte de frapper à pleine force, quel que soit leur sujet : la découverte d’un organisme fusant à travers l’écran comme un feu follet, un mur d’algues animales entravant notre progression, les ruines de structures cyclopéennes à des milliers de mètres sous la surface, ou la trace retrouvée de notre amie. Chaque découverte, chaque moment devient l’occasion, non pas d’une description factuelle, mais d’une pensée, d’une émotion exprimée, par laquelle on se sent aussi près que possible des états d’âme du personnage, de sa mélancolie et de ses emballements, lesquelles deviennent le double des nôtres… Et l’on finit par se dire, au terme du voyage, que son lieu n’était pas tant un monde physique – cette fameuse planète aqueuse – que la conscience qui la percevait, l’interprétait et s’en émouvait dans le creux de notre oreille, et que l’on a l’impression d’avoir côtoyé intimement.