Curieux studio que ce Game Republic : depuis ces débuts avec Genji sur PS2, le développeur poursuit une trajectoire atypique, où créativité débridée le dispute à un bel esprit d’indépendance. Avec Majin and the Forsaken Kingdom, l’ambition ne désenfle pas, puisque le développeur braque son viseur sur rien moins que la sainte trinité Zelda-Ico-Shadow (of the Colossus). Sur ce terrain dangereux, Majin s’avance en toute candeur, pas forcément armé pour l’occasion, et se heurte maintes fois à ses limites. Mais, surprise, cela ne l’empêche pas de se révéler très attachant, souvent plaisant et occasionnellement enchanteur, malgré de nombreuses maladresses.
Fils de Tepeu
La trame scénaristique nous sert le grand classique du bien contre le mal grimé en conte millénaire : un jeune aventurier rencontre un gentil colosse prisonnier d’une force maléfique toute puissante, et le sauve; ensemble, ils se mettent en route vers la source du mal, à la recherche des fruits magiques qui recèleraient les pouvoirs cachés du géant. Si l’histoire est sympathique, le maquillage « mille-et-une-nuits » ne suffit malheureusement pas à nous emporter dans un tourbillon de romance et d’exotisme. De fait, son scénario ne s’intéresse jamais vraiment à son sujet, et ne s’amuse ni à le pousser dans des zones d’émotions inédites, ni même à le mettre en scène. La relation entre le petit dieu et le prince permettait pourtant de belles envolées et des développements magiques.
On se consolera vite en voyant les deux personnages évoluer à l’écran. Si le visage du garçon n’a pas la classe des chara-design de productions plus luxueuses, le Majin, mélange de troll patibulaire et de koala en peluche, est vraiment très réussi. La localisation française, plutôt correcte, fait d’ailleurs des merveilles avec le géant qui gratifie certaines de ses réussites de cris de joie imbéciles et béats complètement adorables. La progression alternant entre aventure, action et réflexion, vise une certaine forme de classicisme : cloisonné en extérieur comme en intérieur, loin de l’open-world évoqué par le royaume du titre, le level-design s’articule en réseau de « salles » qui sont également des puzzles à grande échelle, dans la plus belle tradition du genre.
Temple, forêt, village, canyon, il énumère les destinations traditionnelles du jeu d’aventure en les assortissant cependant de ce petit surplus de style qui constitue sa patte. Première étrangeté : le travail des artistes est trop souvent desservi par une palette chromatique saturée à l’extrême. Par ailleurs, le cœur du jeu balance et ne choisit pas trop entre le conte arabisant, la fantasy bucolique et les balbutiements d’une ère industriel ; mais le chemin qu’il se fraye entre ces atmosphères dresse l’étrange cartographie d’un voyage mémorable, avec une impression de cohérence d’autant plus surprenante que le jeu donne l’impression de s’éparpiller aux quatre vents.
Cependant, à trop courir après des ambiances et des thématiques de décor différentes, le développeur fait preuve de plus ou moins de réussite et le résultat s’envisage au cas par cas : parfois la rencontre entre esthétique et level-design s’opère à merveille, en particulier lors des phases de temples en ruines ceints de nature sauvage; à d’autres moments les choix esthétiques sont une injure au bon goût : on pense aux designs indéfendables de l’étrange caverne de feu et du complexe portuaire. Mais s’il y a bien une solidité constante tout au long de l’aventure, c’est celle de l’architecture des niveaux, consistante et claire, qui propose régulièrement des séquences organisées autour d’une idée forte de progression. Elle évoque les tracés des meilleurs jeux du genre, ceux qui s’efforcent de maintenir une intensité dans la pratique du gameplay, tout en veillant à alterner les approches, de la pure plateforme au franchissement réfléchi, notamment lors d’énigmes raffinées très bien pensées.
Le gameplay du jeu est centré autour d’une idée simple : la collaboration constante entre le jeune garçon et le monstre. Par simple pression sur les gâchettes, on accède à un menu d’ordre qui permet de commander Teotl de façon sommaire. On peut le faire combattre au corps à corps ou bien faire usage de ses pouvoirs, organisés autour des éléments du feu, de l’électricité, du vent, et du cristal. Des upgrades sont disséminés dans les coins les plus retors, et leur recherche est souvent l’occasion de prolonger les énigmes d’une ingénieuse coda, permettant à terme de booster l’endurance, la force et la vie des personnages. Ajout sympathique, le jeu propose également de changer leur accoutrement, leur conférant un bonus de stat. Mais le plaisir, comme souvent, est surtout dans la recherche et la mise en place des moyens pour accéder à ces secrets.
Le gameplay des combat en lui-même peine à convaincre. Proposant l’idée sympathique d’une bataille menée de front par les deux personnages côté à côte, le résultat s’avère bien souvent brouillon et ne donne pas grand-chose visuellement. La faute à une caméra en roue libre qui se vautre dans le décor, ne proposant jamais d’angle pertinent sur l’action. Reste la satisfaction de combiner la force brute du Majin avec la vivacité du héros tout en agilité et esquive, avec en point d’orgue les combos qui ponctuent les affrontements d’une sauvagerie jouissive. La maniabilité, entachée d’imprécisions dans le déplacement et le ciblage, montre plus que jamais ses limites. Elle contribue à poser les brides d’une jouabilité pourtant généreuse, mais qui ne se déploie jamais complètement, hors des phases plate-forme.
Mais la contre-performance la plus dommageable du titre, c’est sa technique obsolète. Totalement insuffisante pour soutenir l’ambition et le souffle esthétique qui se devine et émerge parfois, elle ne cesse de piquer les yeux avec ses effets de scintillement permanents; à cela s’ajoute le gâchis d’une profondeur de champs systématiquement floutée par un effet grossier, style « je suis myope ». Du coup, la vue ne s’évade jamais en panoramas grandioses, et le monde reste bien souvent étriqué à sa courte portée. Quelques textures de roche ou de pierre vraiment sales répétées plus que de raison forment à l’occasion une vilaine tapisserie, et la résolution de l’ensemble nous rappelle plus à la PS2 qu’à l’ère de la profusion graphique en HD. Pour finir, le « bump-mapping » antique, loin de rehausser le tableau, macule au contraire certaines parois de cet effet vomi typique d’une utilisation maladroite. Si ces tares de la réalisation menacent de faire chanceler le titre à chaque instant, le miracle c’est que l’aventure tient bon, se rattrapant toujours aux branches de son charme singulier.
Un royaume sans roi
La solidité de Majin, c’est d’abord celle de son « gameplay » de franchissement, qui entremêle à merveille énigmes et plate-forme. La plupart des traversées de niveau sont un pur délice : selon le schéma de progression classique, Tepeu se faufile là où son grand ami ne peut le suivre ; resté sur place, le géant contribue par ses pouvoirs à compléter le niveau, afin que le petit homme lui ouvre un chemin à sa mesure. Un beau principe de collaboration, décliné en de nombreux cas particuliers mobilisant la réflexion et l’adresse, sans que la lassitude ne s’installe jamais. A cet égard, les boss sont un moment clé où défauts et qualités convergent dans un bouillonnement assez indécidable : dotés d’un design générique plutôt pas convaincant, ils ne trépassent qu’au prix d’une utilisation ingénieuse du pouvoir fraichement acquis… et d’une lutte contre les errements de la maniabilité, un peu trop approximative. Une nouvelle fois, le plaisir se mêle à la frustration, comme dans toutes les phases d’action que le jeu n’a pas les reins assez solide pour encaisser. Reste un dernier boss aux proportions colossales, moment de pure flippe opératique joliment mise en scène ; une apothéose bienvenue qui arrive sans prévenir.
Pendant la quinzaine d’heures que dure l’aventure, Majin a la maladresse et la vulnérabilité des jeux qui osent des choses très compliquées sans avoir parfaitement sécurisé la démarche pour les obtenir : c’est aussi ce manque de calcul qui le rend si attachant. Emporté par une générosité et une naïveté passionnées, détachées des habituels critères de profit, il désarme la critique et prend le joueur par surprise. D’autant que sa musique symphonique, proche cousine de la bande son de Shadow of the Colossus (le sommet du genre), entretient le souffle aventureux et romanesque de la progression en l’anoblissant d’une classe constante. Tutoyant la qualité des plus belles partitions du jeu vidéo, elle contre-balance la profusion esthétique du jeu d’un poids dramatique qui résonne loin.
Si le navire avance sans capitaine, sans qu’une volonté forte émerge pour déterminer clairement le projet esthétique, cette profusion échevelée et cette fraicheur participent aussi paradoxalement au charme du jeu. Lorsqu’il s’éparpille à tous vents, Majin sait toujours rebondir en reprenant simplement ses bases, et la synthèse que l’on fait du voyage bascule finalement dans le positif : merveilleuse excursion, balade fantastique et enchanteresse, qui va peut être dans tous les sens, mais d’un pas impétueux et poétique qui jamais ne faiblit. Cette fraicheur pleine d’envie, si rare dans le média, mérite bien qu’on lui passe sa gaucherie occasionnelle.
Conclusion
Allergiques aux défaillances techniques, soyez prévenus : Majin and the Forsaken Kingdom a beau fluctuer en qualité et manquer de finition, il ne s’en sort pas moins avec un capital sympathie énorme. Certes, son projet à mi chemin entre Zelda, Ico et le folklore Miyazakien, ne trouve jamais vraiment les moyens de son ambition ; mais cela ne l’empêche pas de faire montre d’une personnalité attachante et de qualités ludiques indiscutables. Battant en brèche les insuffisances de son scénario et de sa direction artistique, Majin est un bon jeu d’aventure dans une boite trop petite, dont l’esprit de poésie et la naïveté impétueuse nous emportent au final. Aventuriers de tous bords, laissez vous tenter!