Critique publiée par Benoît le 02/02/2014 sur Apps-and-play.com, site d’actualités et de tests sur les jeux mobiles en activité en 2014 et 2015.
À l’image de la scène indépendante sur PC, l’un des attraits de l’App Store vient du fait qu’il recèle nombre de jeux ne reposant que sur les seules forces d’un bon game-design. Développé par Shaun Musgrave sous la banière Magma Fortress, Hoplite en est l’exemple parfait : en une série de règles d’une simplicité désarmante, il parvient à distiller l’essence même du roguelike et de ses enjeux ludiques complexes, s’imposant du même coup comme un indispensable de l’App Store. Retour sur ce grand petit jeu.
Distillation experte des mécaniques du roguelike
Il serait dommage de s’arrêter à ses graphismes austères en pixel-art, figurant la plongée aux enfers d’un guerrier spartiate, à la recherche de la Toison d’Or : les meilleurs « roguelike » (exploration case par case de donjons peuplés de monstres) n’ont jamais fait la part belle à l’aspect visuel et sont surtout affaires de mécaniques bien huilées. Celles d’Hoplite s’appréhendent vite (le temps d’un court tutoriel) : le joueur agit au tour par tour sur une grille constituée de case hexagonales, représentant le niveau du moment. A chaque instant, il dispose de quatre actions : il peut se déplacer tout simplement sur la case adjacente, sauter sur une case plus lointaine (contre un coût en énergie, remise à 100% à chaque nouveau palier), pousser ennemis et objets d’un coup de bouclier ou lancer son pilum sur un ennemi à distance.
En face, le comportement de l’ennemi est régi par les mêmes règles : une action par tour, un comportement typique par ennemi. Le soldat de base n’attaque qu’au corps à corps, le démon rouge balance une bombe tous les trois tours, l’archer tire en ligne droite sur chacun des six côtés de sa case (sauf sur celles adjacentes à la sienne), tout comme le sorcier dont les sorts touchent d’un peu plus loin. Dernier élément de base : chaque niveau est généré aléatoirement, seul facteur « chance » au sein d’un système ludique à la rationalité redoutable. Mélangez chacune des ses données et vous obtenez un nombre à peu près infini de situations.
Première vertu de ces règles limpides : elles permettent au joueur de prévoir précisément le prochain mouvement de chaque ennemi, gageure qui élève Hoplite au rang de pur jeu de réflexion, rappelant parfois l’abstraction des échecs (on peut même voir en Hoplite une sorte de puzzle-game stratégique). A l’abord d’un niveau, premier réflexe, on envisagera chaque ennemi (un « tap » sur eux révèle leur portée de tir) et leur prochain mouvement potentiel, avant de déterminer son action avec soin.
Équilibre génial entre calcul et prise de risque
Les parties pourraient n’être qu’une longue série de calculs imparables de ce type, si le jeu ne compliquait pas la donne à chaque nouveau pallier. Chaque run atteint en effet ce moment décisif (autour du pallier 11, pour votre humble testeur) où l’on se sent dépassé par le nombre d’ennemis, incapable d’anticiper tous les facteurs du combat. Au fil des descentes avortés dans le sang, on comprend alors à la dure que l’on ne peut pas tout maîtriser, que cette fichue paire de mage et d’archer risque de nous coincer dans un trou de souris, et, tiens, voilà une bombe sur la droite qu’on n’avait pas vu venir, et boom, c’est la mort. Bref, le jeu calculatoire à ses limites, limites totalement volontaires, essentielles, même, au plaisir masochiste suscité par le jeu : après lui avoir donné les ficelles, Hoplite force son joueur à un lâcher-prise angoissant en l’obligeant à prendre des risques, jusque dans ses mécaniques de combat : lancer le pilum sur un ennemi distant de 3 cases, c’est aussi s’en priver pour les 3 prochains tours – puisqu’il faudra bien le récupérer – et s’exposer au danger sur le chemin.
Sur cette même idée du rapport « risque/récompense », l’autel à « upgrades » offre de choisir, une fois par pallier, une amélioration parmi cinq autres. Si les premières améliorations sont pas de prix, les plus avancées requièrent un « sacrifice » d’un ou plusieurs point de vie, plongeant son joueur dans d’intenses pondérations, du type : « est-ce que ça vaut la peine de perdre 2 points de vie pour prendre le « plongeon sautant »? Ok, mais ça serait super pratique quand même, si je fais gaffe, ça passera ». Ainsi plonge-t-on, de niveau en niveau, dans un équilibre génial entre calcul et risque inconsidéré, portés par l’espoir que nos choix s’avèreront payant.
Autre avantage du système d’upgrades via l’autel : il ajoute un soupçon de progression « RPG » qui contribue à rendre le jeu hyper accrocheur : selon les « upgrades choisies » – dont certaines se débloquent en complétant des « trophées » -, notre hoplite se spécialisera dans un axe ou un autre de son gameplay (« build » coup de bouclier, « saut offensif » ou « tanking à la barre de vie »), motivant à relancer sans cesse une partie pour essayer une autre approche : comme le fabuleux FTL il y a deux ans, Hoplite est de ces rares titres dont on ne décroche jamais vraiment.
Conclusion
Pour résumer l’excellence du game-design d’Hoplite en une phrase, on pourrait dire qu’il atteint le point de simplicité limite qu’un roguelike peut atteindre, tout en conservant la grande complexité de variable que le genre suppose. Toute la malice du titre de Shaun Musgrave réside dans cet équilibre constant qu’il installe entre progression calculée et saut dans le vide, entre maîtrise de la situation et prise de risque, partant de mécaniques limpides et immédiatement accessibles. Si certains regretteront peut-être cette simplicité extrême, et l’absence d’autre quêtes ou classes jouables, le titre donne l’impression d’une équation ludique parfaite, qui n’admettrait aucun autre élément sans risquer la fausse note. Classique instantané de l’App Store où il est vendu 1,79 euro, on le conseille sans réserve.