Critique de Splinter Cell Blacklist : histoire éculée, gameplay prenant

Prolonger la veine action de Splinter Cell Conviction tout en ralliant les amateurs d’infiltration de la première heure, effarouchés par le virage musclé de l’épisode précédent : tel est le défi que s’est lancé le studio Ubisoft Toronto sur ce Splinter Cell Blacklist. Outre cette volonté de reprendre le meilleur de la tradition et des avancées modernes de la série, ce sixième épisode se redouble d’une seconde ambition : celle de rassembler le contenu le plus large possible, en forme d’inventaire de fin de gen pour la licence – campagne solo plus longue, missions coop, retour du mode compétitif Spy vs. Mercs -. Les dernières aventures de Sam Fisher tiennent-elles toutes leurs promesses ? Réponse dans le test.

Scénario usé mais immersion accrue

A l’opposé de son impérieux cousin Metal Gear, la série Splinter Cell n’a souvent prêté qu’une attention distraite à son scénario : un constat que Blacklist ne fera malheureusement pas mentir. Vous connaissez le refrain : sous le coup de menaces terroristes fomentées par des activistes hyper-violents – les Ingénieurs -, en croisade contre l’ingérence militaire des U.S. dans le monde, le gouvernement américain missionne l’équipe de Sam Fisher, experte en avortement de Guerres Mondiales. Fiction politico-militariste usée jusqu’à la corde, l’histoire de Blacklist ne fait qu’effleurer un sujet moralement complexe, et restera campé dans sa bêtise : aux implications humaines du conflit Amérique vs. « bad guys » – dont les revendications sont totalement caricaturales – , le récit préfère les petits enjeux superficiels de série B, alignant sur un rythme hystérique les « menaces » successives . Devenu action hero classique et palot, Sam Fisher ne cessera de dézinguer sans état d’âme un nombre aberrant de sous-fifres – et les rares moments de choix moraux sans conséquence ne lui donneront pas plus d’épaisseur. Si cette légèreté scénaristique ne peut que décevoir, elle n’est pas surprenante : la trame scénaristique des Splinter Cell n’a jamais été d’avantage qu’un prétexte à l’action.

Impossible, en revanche, de contester la puissance d’immersion des phases ludiques elles-même, immersion induite par le prolongement des missions sur la durée. A l’inverse de Conviction, dont la structure ramassée et les niveaux étriqués morcelaient l’expérience, Blacklist prend le temps de déployer en longueur son décor du moment (ville arabe, forteresse suspendue à flanc de montagne, luxueuse villa) : en découle la sensation de plonger au cœur d’un territoire ennemi pour y vivre, à chaque mission, une véritable aventure d’action/espionnage. Le scénario prend en outre un malin plaisir à multiplier les rebondissements et effets de mise en scène, manière de revitaliser l’action : on pense notamment à cette fin de mission où Fisher doit désamorcer plusieurs bombes virales en temps compté, mettant brutalement le joueur sous pression. Ce goût pour le happening narratif confère à Blacklist un atmosphère de thriller intense et explosive, dont le premier mérite est de faire oublier en partie la relative ineptie du scénario.

Le titre se structure autour d’un hub central – le « Paladin » -, avion qui sert de Q.G. à l’équipe de Fisher. En lieu et place du menu principal, il aiguille vers la totalité du contenu du jeu (missions solo ou parties multi) via une carte stratégique située dans la salle de contrôle. Le Paladin sert également de lobby de customisation, où l’on dépensera l’argent gagné en mission pour débloquer de nouveaux gadgets et autres pièces d’équipements boostant les caractéristique de Fisher (armure, discrétion, maniabilité des armes). A la manière d’un RPG light, Blacklist croule littéralement sous les éléments à débloquer, jusqu’à l’avion lui-même dont les améliorations auront une incidence sur le gameplay : une ficelle visible mais éprouvée pour prolonger une durée de vie déjà conséquente en solo (compter 8 à 10 heures pour un premier run).

Équilibrage action / furtivité réussie ?

Conçu comme un « best-of » des meilleures mécaniques de la série, Blacklist permet en théorie de composer entre bourrinisme et infiltration ciselée, selon ses goûts. A quelques exceptions prêt (course-poursuite scriptée, grosse fusillade imposée), chaque phase ludique peut être pratiquée de façon réellement différente, l’approche du joueur étant classée selon trois axes : fantôme pour la discrétion totale, panthère si les ennemis sont alertés, assaut en cas d’attaque frontale. Si Blacklist semble de prime abord ne pas favoriser une approche sur une autre, ses niveaux ne dévoilent vraiment leur richesse qu’à celui qui les traverse tel un fantôme.

Le code génétique de Splinter Cell n’est en effet pas devenu celui d’un TPS, et les mécaniques « action » de ce nouvel épisode se prêtent encore assez mal aux gestions de crise (on patauge souvent entre grenade et tir à couvert laborieux lorsque l’action se met à chauffer). Heureusement, il ne s’agit là que d’un grief mineur, tant Blacklist chante avant tout les louanges de l’approche infiltrée sur la base des mécaniques de Conviction (glissades entre couverture, neutralisation à main nues et au pistolet électrique). Nouveauté sympathique, il faudra désormais veiller à cacher les corps pour ne plus alerter l’ennemi, comme à la vieille époque.

Une approche convaincante de l’infiltration

On apprécie également le retour d’un arsenal de gadgets conséquent, redevenu après la trêve musclée de Conviction une trousse à outil essentielle pour s’affranchir des gardes – surtout dans les modes de difficulté les plus élevés, qui font de chaque séquence un défi -. Grenades flash et soporifique, mines de proximité ou électrique, caméra et drones aériens, la liste est longue et les combinaisons nombreuses pour disposer des ennemis. Certains des meilleurs niveaux sont d’ailleurs conçus comme de grands parcs à jouets furtifs, percés d’ouvertures et de chemins de traverses qui sont autant d’incitation à l’expérimentation.

Si cette couche de gameplay « techno » renoue avec l’esprit « bricolage de solutions » des premiers jours, le feeling infiltration n’est jamais aussi grand que lorsque que l’on tire parti du déplacement furtif. C’est d’ailleurs là que réside l’intelligence de Blacklist, dans cette façon de pousser constamment le joueur à contourner l’affrontement en embrassant l’obscurité et la verticalité du niveau (que Fisher peut désormais atteindre en escaladant les façades). Une salle semble totalement encombrée ? Il y aura toujours un conduit, un muret ou un tuyau pour s’affranchir du danger, le prendre à revers ou simplement l’éviter ni vu ni connu (l’option la plus rentable pour l’approche « fantôme »). Cette conception du déplacement comme stratégie est à notre sens la grande réussite de la campagne solo, qui parvient à redéfinir l’infiltration autour du simple plaisir de passer dans le chat d’une aiguille, de s' »infiltrer » – littéralement – dans les maigres interstices d’un espace hostile pour y conquérir une liberté de mouvement toute puissante.

Conséquence logique, la qualité des missions dépend souvent de l’ouverture de leur niveau – les phases les moins convaincantes sont celles qui restreignent l’exploration furtive, voire s’en écartent totalement (phases de snipe ratées, fusillades obligatoires, heureusement rares). Et si le level-design se montre souvent d’une finesse remarquable, et que les ennemis y sont intelligemment placés pour créer le challenge, l’I.A. faillible et permissive de ces derniers occasionnera quelques situations aberrantes (les gardes repèrent les portes ouvertes et les bruits suspects, mais peuvent ne pas ciller lorsque Sam entre dans leur champs visuel). Esthétiquement inégal, le titre alterne les jolis niveaux et les complexes industriels/militaires plus ternes, faiblesse redoublée sur console par des textures pas toujours flatteuses – les effets de fumée et la gestion rigoureuse des ombres/lumières sont en revanche impeccables -.

La meilleure offre multi de la série

L’autre pièce maîtresse de cet épisode, c’est évidement le multi, dont l’offre pléthorique fait presque figure de jeu dans le jeu : versant coop, les missions annexes sont nombreuses et se déclinent en plusieurs objectifs, de l’affrontement de vagues d’ennemis à l’infiltration lors de missions plus ouvertes, en passant par le dézingage furtif de toute présence hostile sur la map. Intelligemment construits pour inclure des doubles parcours et des points de frictions requérant une action coordonnée, les niveaux coop s’avèrent de surcroît d’une difficulté redoutable, obligeant les binômes à soigner leur discrétion sous peine de voire débarquer des renforts surarmés, en état d’alerte.

Côté compétitif, Blacklist livre la meilleure version du Spy vs. Mercs à ce jour, mode jouissif issu du second épisode, au gameplay asymétrique. Les espions, véloces et acrobates mais fragiles, devront pirater trois terminaux informatiques ; les mercenaires en vue première personne, plus résistants et fixés au sol, useront eux de leur puissance de feu pour défendre les terminaux et traquer les espions pirates (le piratage d’un terminal étant annulé si le hacker est tué). Passé 10 minutes, les rôles s’échangent, la partie se gagnant au compte de terminaux piratés. Parfaitement conscient de l’intelligence du principe, Ubi Toronto a eu la bonne idée de le décliner en deux modes aux saveurs bien distinctes. Le premier, joué en 2 vs. 2, dépouille chaque camps de ses options de customisation pour un pur affrontement intellectuel, fait de placement et d’esquive entre ombre et lumière, où le mind gaming prévaut largement sur le skill – pour cause, la moindre confrontation directe tourne à l’avantage du mercenaire. A chaque camps ses plaisirs : les espions tireront parti de la verticalité pour rester cachés ou fondre sur l’ennemi, tandis que les chemins en goulots d’étranglements et les zones de terminaux « en arènes fermées » permettront aux mercenaires de baliser rationnellement le terrain.

Source de sensations de jeu différentes, le 4 vs. 4 s’axe d’avantage sur la communication entre équipiers : les espions devront défendre leur hacker du moment, et les mercenaires, quadriller l’espace à la recherche des caches potentielles, tout en se protégeant des attaques éclairs. Chaque camps dispose en outre de trois classes, ajoutant une couche stratégique supplémentaire sur le mode du pierre-ciseau-papier (espion Disruptor invisible vs. mercenaire Predator, casseur d’invisibilité, etc…). On pourra également composer plus finement son jeu hors des trois classes archétypales, en choisissant le mode de vision, l’arme, la pièce de torse et les gadgets selon les effets voulus. Dans un mode comme dans l’autre, avec ou sans classes, les parties s’avèrent en toutes circonstances de délicieux moments de traque et de furtivité improvisées où les rapports chasseurs/chassés s’inversent en permanence et les piratage réussis ou contrés résonnent comme une grande victoire.

Conclusion

En bon jeu de fin de cycle, Splinter Cell Blacklist s’impose comme un épisode-somme généreux inventoriant les meilleurs éléments et mécaniques de la franchise. Si le scénario du solo irritera fréquemment, la campagne parvient le plus souvent à séduire, tout au long d’une douzaine de missions d’autant plus immersives qu’elles sont longues et recentrées sur l’approche infiltrée. Quant à l’offre multijoueur, elle est de loin la plus solide de la série : les missions coop proposent un challenge raffiné, tandis que le Spy vs. Mercs s’avère l’un des multi compétitifs les plus accrocheurs de mémoire récente. Avis aux amateurs d’infiltrations qui ne s’effaroucheront pas d’une I.A. pas infaillible et du relatif conservatisme de la formule : ce sixième épisode est bien ce bon cru attendu, capable à son meilleur de réactiver le sentiment jouissif d’incarner un prédateur invisible au cœur d’un territoire hostile.

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Administrateur du site Etoile et champignon. Passionné par les jeux vidéo.

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