Critique de Psychonauts 2 : une forme d’aboutissement pour Double Fine

On aurait pu craindre que les 16 ans séparant les sorties du premier Psychonauts et de cette suite soient mauvais signe. Il n’en est rien : Psychonauts 2 se révèle une forme d’aboutissement pour son studio, qui améliore ce qui coinçait du point de vue ludique dans le premier épisode (plateforme rigide, action bancale), et profite d’un budget gonflé pour pousser l’inventivité et la belle forme de ses mondes-mentaux le plus loin possible.

On y incarne toujours le jeune Raz trois jours après les évènements du premier épisode, au moment où il entre en tant que stagiaire dans l’organisation des Psychonautes, un groupement d’êtres dotés de pouvoirs psychiques, à mi-chemin entre police internationale et médecins de l’esprit. Après une première mission dans le cerveau du méchant du premier épisode, on découvre l’existence d’une nouvelle antagoniste que les six chefs Psychonautes croyaient à tort avoir mis hors d’état de nuire. Pour empêcher son retour, le joueur devra infiltrer l’esprit des cadres de l’organisation, dont les mondes mentaux sont modelé par leurs passé et traumas à résoudre par un combat de boss, qui le symbolise, au terme d’un cheminement mêlant phases d’actions et parcours d’obstacles.

Comme dans le premier épisode, la forme des niveaux est le premier attrait de Psychonauts 2, qui vaut d’abord comme pur exercice de style visuel. Nullement tenus au réalisme grâce au principe des mondes psychiques permettant toutes les fantaisies, les level-designers et artistes peuvent, par exemple, imaginer l’esprit d’un coiffeur comme entièrement constitué d’une matière chevelue plantée de peignes, ou celui d’un employé de bowling sous la forme d’un centre-ville décorés de quilles et boules géantes, au sol maculé d’un mucus verdâtre évoquant l’infection bactérienne des chaussures de location dont s’occupe le personnage visité, obsédé par la propreté.

Ces décors surréalistes illustrent le crédo créatif du studio Double Fine : partir d’une bonne idée et la tenir sur la durée, la développer jusqu’à son terme visuel, quitte à sortir complètement des formes stéréotypées du genre investi. Cette déférence à la bonne idée initiale, inspiratrice d’élans créatifs complètement débridés, conduit Psychonauts 2 à déborder sans cesse des structures typiques de la plateforme 3D, au sein desquels des hubs centraux distribuent habituellement vers des niveaux clairement délimités, aux objectifs toujours semblables. Dans les Psychonauts au contraire, la primeur donnée à l’idée formelle ou narrative de départ s’impose sur les structures ludiques vues et revues, appelant des cheminements imprévisibles. Si l’intrigue le demande, un niveau peut ainsi déboucher sur un sous-niveau enchâssé, et un hub sortir ponctuellement de sa fonction de « place centrale » pour donner lieu à une séquence jouable en bonne et due forme, faisant naître chez le joueur le sentiment grisant qu’il ne sait jamais où le scénario et le level-design le mènent.

Au-delà de cette progression atypique qu’il façonne, le récit inspire aussi la forme même des mondes. Pour illustrer le psychisme d’un personnage à l’alcoolisme solitaire et dépressif, les développeurs imaginent par exemple un océan ponctué d’îles désertes, où des bouteilles de vin géantes échouées sur les plages officient comme portails vers des infra-mondes imbriqués évoquant des moments-clés de son passé par les signes de son alcoolisme – la mer y est d’un brun pétillant couleur « bière », on y saute de paille en bouteille, etc… -. Un autre monde-esprit, celui d’une ancienne infirmière obsédée par le gain d’argent, inspire un décor à mi-chemin entre le casino et l’hôpital dont la déco, sommet de loufoquerie, mélange machines à sous et imagerie médicale. Et la liste des niveaux géniaux pourrait se poursuivre : on pense à ce monde-bibliothèque, délirant sur le thème du livre, celui d’un postier proliférant sur le motif du tri de lettres, celui encore d’un musicien « rock » filant l’imagerie d’un festival sous trip au LSD… Au final, dire le bien que l’on pense de Psychonauts 2 reviendrait presque à se contenter de décrire l’aspect visuel de ses mondes, jusqu’à ces hubs « dans le réel » a priori moins fous et censément plus ancrés que les espaces mentaux, mais où le foisonnement créatif du studio ne connait pourtant pas de trêve : le meilleur exemple en est la « Zone Aberrante », une région forestière où une rivière peut s’écouler à contre-sens vers le sommet d’une cascade, et où les panneaux informatifs sont ponctués de points d’interrogations, comme pour signifier qu’aucun fait n’est plus assuré en ces lieux – la filiation de Double Fine avec le génie surréaliste des meilleurs point ‘n clic de Lucasarts se fait ici la plus évidente -.  

Si l’on joue d’abord à Psychonauts 2 pour le plaisir de découvrir ses décors à l’inventivité réjouissante, on se surprend à suivre son histoire avec beaucoup plus d’intérêt que d’habitude dans un jeu de plateforme ; et pour cause : elle est l’un des principaux soucis du studio, dont l’affection pour ses personnages est évidente. Empreint de bienveillance et de nuance morale, le récit ne divise pas bêtement son casting en deux catégories – les méchants d’un côté, les gentils de l’autre -, mais s’efforce au contraire de tous les comprendre, y compris dans leur mauvaise tournure, et à montrer que ce que l’on perçoit comme « maléfisme » n’est que le symptôme d’un mal-être résultant d’une histoire personnelle, d’une généalogie qu’il faudra chercher à démêler pour, peut-être, espérer le soigner (c’est le but de notre aventure). Ce récit plein de sollicitude est d’autant plus prenant à suivre qu’il ne souffre aucune cassure : les nombreuses cinématiques – réussies, sans niaiserie – se fondent naturellement dans les phases de jeu qui ont elles-mêmes une portée narrative constante, coulée à même la multitude des signes – chaque détail ayant valeur de métaphore ou de souvenir à interpréter -.

Mais pour être un jeu narratif et d’exploration « visuelle » interessant, Psychonauts 2 n’en est pas moins un « jeu », et il faut encore qu’il se manie correctement pour que sa pratique ne suscite pas d’agacements risquant de gâcher ses qualités. On avait reproché au premier épisode son gameplay « plateformesque » trop rigide, un défaut que cette suite corrige très largement. Dans les phases d’adresses, le maniement est à la fois plus précis et permissif, grâce à une physique des sauts plus souple qui laisse mieux sentir le poids du héros et offre un meilleur contrôle. Quant aux phases de bagarre et autres combats de boss, assistés de nos divers pouvoirs (jetés d’objets, boule de feu, ralentissement du temps…), ils ne sont toujours pas ce que le jeu propose de plus passionnant, mais profitent tout de même d’une contrôlabilité accrue, qui fait se sentir plus vif et réactif. En somme, tout ce qui pouvait gêner dans le premier épisode est amélioré, et n’entrave plus le plaisir principal qui consiste à simplement explorer, à se perdre du regard dans les compositions visuelles étonnantes et à se laisser porter par l’histoire, les trois fonctionnant de pair et faisant de Psychonauts 2 le jeu de référence (le plus beau, le plus jouable) pour découvrir la patte « Double Fine », cette manière singulière d’articuler des récits au grand cœur à des imaginaires débridés.

+
  • Des mondes-mentaux visuellement captivant, à l'imaginaire débridée
  • Progression à la structure atypique, constamment surprenante
  • Récit empathique et moralement nuancé
  • Gameplay amélioré par rapport au premier épisode (contrôlabilité accrue, meilleure physique)
  • Effets de matière très réussis, qui augmentent l'impact visuels des mondes surréalistes
-
  • Phases d'action toujours moyennes, combats de boss inégaux
  • Quelques épreuves "optionnelles" de plateforme un peu bancales
8
Écrit par
Administrateur du site Etoile et champignon. Passionné par les jeux vidéo.

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