Nioh 2 est un jeu-composite abordant l’action par plusieurs bouts, dont le plus évident serait le bord « Dark Souls ». Comme les jeux de FromSoft, Nioh 2 fonctionne sur le principe du « die and retry » : on y meurt très souvent avec retour au dernier sanctuaire, au risque de perdre toute son expérience si l’on est tué avant d’avoir récupéré son corps. La première couche de son gameplay est également d’inspiration « Soulsborne » : on y joue d’autant mieux que l’on apprend à lire les animations des ennemis et à y réagir correctement en gérant son endurance, nommée Ki. De cette logique, qui était l’alpha et l’omega des jeux FromSoft, Nioh 2 s’éloigne pourtant par ses nombreuses mécaniques ajoutées, déplaçant son centre de gravité vers moins de clarté, moins de rigueur mais aussi vers une plus grande nervosité et une assez jouissive explosivité.
La première impression est celle d’un jeu excessivement compliqué à prendre en main qui, non content de noyer son joueur sous des mécaniques mal expliquées, le bombarde de combinaisons de touches désespérantes, rendant sa première marche d’autant plus difficile à franchir : dès la première mission, notre personnage risque la mort à chaque rencontre, et l’on a tôt fait de s’embourber dans des boucles d’échec hyper frustrantes. La découverte des sous-menus en tiroirs provoque aussi son lot de sueurs froides, recelant des systèmes aussi opaques qu’essentiels comme cette douzaine d’arbres de talents, le système de forge ou la gestion des âmes de monstres – les Yokaï -, qu’il est pourtant vital de s’approprier au plus vite. En résulte l’impression d’un gigantesque bazar de systèmes ludiques mal imbriqués, multiplié par autant d’options de paramétrages (des combos, des effets d’armes, du Q.G., …) que rien n’explique : sans les vidéos tuto proposées par des vidéastes amateurs (merci à eux), nous n’aurions sans doute par gratté la moitié de la substance du jeu.
Face à tant de lourdeurs, la clé pour ne pas décrocher, c’est de comprendre que l’on n’est pas obligé de tout utiliser tout de suite : on peut d’abord se satisfaire d’un échantillon « de base » de l’ensemble, fait du socle « soulsien » de l’action (l’habituel mix d’attaque et d’esquive), du « Ki Pulse » consistant à regagner de l’endurance par pression sur R1 après un coup, et du système des trois postures améliorant l’esquive, la défense et l’attaque. Il faut aussi accepter que bien jouer ne suffit pas toujours à surmonter la difficulté de Nioh 2, laquelle repose sur une part importante de hasard. Contrairement aux jeux FromSoft où la lisibilité prime, les coups de l’ennemi ont ici tendance à se déclencher sans effet d’annonce et à s’enchaîner immédiatement, rendant parfois la mort inévitable… une imprévisibilité rendue paradoxalement supportable par le même hasard qui s’immisce dans les combats : pour chaque situation défavorable, la progression dans Nioh 2 compte un nombre toujours plus grand de situations chanceuses et grisantes, où les plus gros ennemis nous épargnent leurs sautes d’humeur ingérables et nous permettre de tirer notre épingle du jeu.
Autre distinction entre Nioh et les Soulsborne, qui ne plaide pas pour le premier, l’exploration y est beaucoup moins développée : les niveaux ne sont pas ici de beaux espaces crédibles à vertu narrative, comme ils l’étaient par exemple dans le magnifique Sekiro, mais plutôt de simples terrains de jeu fonctionnels sans plus-value esthétique. Indépendant les uns des autres, souvent peu mémorables à quelques exceptions près, ils alternent les couloirs et les zones plus ouvertes, virant régulièrement au labyrinthe un peu lourdingue. On y compte beaucoup de zones visuellement insipides, relevées parfois de jolis points de vue ; on y compte aussi beaucoup de décors recyclés dans des missions secondaires dont la répétitivité finit par fatiguer sur les plus de 70 heures que dure le jeu (soit une dizaine de trop à notre goût), quand bien même l’essence du jeu réside dans ses combats.
Cela étant dit, il ne faut pas s’arrêter à cette approche comparative avec les Soulsborne si l’on veut comprendre ce que Nioh 2 a de spécifiquement jouissif. Il offre d’abord le plaisir tout simple, bien connu des amateurs de hack’n slash et de MMO, d’optimiser son personnage via le leveling et la recherche de nouvelles pièces d’équipements : sans même muscler sa pratique, on gagne un ascendant sur le jeu par le simple fait d’avancer dans les arbres des talents et de progresser en niveaux en se spécialisant vers tel ou tel style de jeu. Quant aux actions assignées à des combos de touches, notamment les pouvoirs « yokaï » et autres changements d’armes et de postures qui nous prenaient tellement la tête au début d’une partie, ils finissent par s’intégrer naturellement à la pratique à mesure que les situations incitent à les utiliser. Le système d’équipement « à la Diablo » fait le reste, transformant la progression en une gigantesque foire au loot qui joue beaucoup dans la transformation de notre personnage en monstre de puissance.
Si le jeu s’échine à nous donner l’ascendant sur ses challenges, il ne devient jamais trop facile pour autant et continue de montrer les crocs jusqu’à sa conclusion, la difficulté remontant sensiblement sur le dernier quart. Le meilleur exemple de cet accord ludique entre pouvoir boosté du joueur et danger accru sont les « Royaumes Yokaï », sortes de poches démoniaques peuplées de monstres semblables à des mini-boss, présents dans tous les niveaux. Ces moments se vivent comme des plongées sous tension dans l’antre de la Bête, où la survie dépend de notre agressivité face à des ennemis qu’il faut tout faire pour assommer de coups et empêcher de passer à l’attaque. Pour nous inciter à basculer dans l’offensive, nos pouvoirs « Yokaï » y sont amplifiés à la mesure du danger, en offrant notamment de nous transformer plus rapidement en un monstre doté de sa propre barre de vie, l’occasion de « lâcher nos coups » dans un déferlement de violence aussi chaotique que satisfaisant.
Le plus jouissif dans Nioh 2, c’est finalement cette explosivité qui s’invite à tous les étages de son gameplay : explosivité du regain de « Ki » après chaque attaque, par une courte pression sur la gâchette qui devient comme une ponctuation vitale de l’action ; explosivité du « grappin », coup spécial qui punit les ennemis en panne d’endurance et nous récompense d’un bruitage fracassant ; explosivité, enfin, du fabuleux Burst-Counter à déclencher pile quand l’ennemi amorce sa plus grosse attaque, précédé d’un grand « boum » et d’un éclat rouge immanquable. Semblable à un smash retournant toute la violence de son coup à l’envoyeur, ce contre est l’une des meilleurs idées du jeu, si efficace et satisfaisant dans ses retours visuel et sonore que l’on guette la moindre occasion de le placer. Si les jeux de From Soft se sont attelés à nous faire cheminer de la peur-panique vers un idéal de calme olympien dans l’adversité, c’est à l’inverse cette explosivité que l’on retient de Nioh 2, ce climat volcanique de combats qui se vivent comme un échange de coups d’éclats entre les ennemis et nous, dans un match acharné où l’on prend progressivement l’avantage à mesure que le jeu nous favorise et se révèle pour ce qu’il est : un sac de frappe aussi compliqué dans son fonctionnement que jubilatoire à pratiquer.