Critique de God of War : Ghost of Sparta, un épisode portable au rabais

Test écrit en novembre 2010.

Le développeur Ready At Dawn, spécialiste des adaptations de grosses licences sur PSP, patiente dans l’antichambre des blockbusters depuis plus de sept ans déjà. En dépit de son statut d’énième commande, leur God of War : le Fantôme de Sparte s’annonçait comme un coup d’éclat sur la portable de Sony, après un Chains of Olympus plutôt réussi. Plein d’ambition et de bonnes intentions, le studio a sans conteste soigné son dernier titre. Cela suffit-il à hisser le jeu au niveau des épisodes de référence? Loin s’en faut, tant cette version, aux prises avec les limitations de son support et le manque d’inspiration de ses développeurs, donne de la licence une transposition incomplète et routinière.

Gorgone with the wind

Le récit de cet épisode a de quoi faire sourciller. Avec ses allures de hors-série cheap et démotivé, il fait pâle figure aux côté des scénarios de série B luxueuse des épisodes de salon, pleins de drame et de grand-spectacle. La relance est digne d’une sitcom : après son intronisation au poste du dieu de la Guerre à la suite du premier opus, Kratos apprend que son frère qu’il croyait mort est en fait bien vivant. Ni une, ni deux, il part à sa recherche sous le regard scrutateur des autres dieux. On notera le caractère éculé du ressort narratif qui consiste à ressortir du chapeau un membre de la famille du héros pour justifier une suite… Plus déconcertant, lors de quelques scènes totalement what the fuck, on assiste interdit à un surprenant virage vers le gore de série Z à la Evil Dead, l’humour en moins.

Cette indigence dans le traitement scénaristique est omniprésente : même lorsqu’il se montre plus raisonnable, le jeu passe systématiquement à côté de sa portée dramatique. Il n’est pas rare que des scènes aux conséquences énormes se déroulent comme si de rien n’était, en purs embrayeurs mécaniques de la narration. Le destin du frère de Kratos ne passionnera personne dans ce récit digne d’une fan-fiction de collégien, et la résolution de l’histoire se joue dans un empressement invraisemblable sur le dernier quart d’heure. Une voix off résume assez bien le manque d’inspiration généralisé, constatant placidement au sujet du héros qu’« une fois encore, le destin le mène aux abords de la folie ». Same old, same old…

S’il y a bien une chose qui fait mouche dès le début du Fantôme de Sparte, c’est son « émulation » assez bluffante du gameplay des épisodes canoniques. Le joueur renoue immédiatement avec ses sensations et ne tarde pas à réciter les combos habituels et autres finishing moves de boucher. Ainsi enchaine-t-on les combats avec vélocité et puissance dans un ballet de lames familier et assez jouissif mais sans aucune surprise. C’est presque de la triche : le minimum syndical assuré sur le portage du gameplay suffit à procurer un plaisir de jeu incontestable et à laisser dans son sillage la maigre concurrence sur la portable de Sony…

L’autre argument massue de ce God of War, c’est la luxuriance de ses graphismes, impressionnants au point de faire oublier les limitations du support. Lors des séquences en extérieur, les panoramas se déploient en une profondeur de champs étourdissante, et les beaux arrières plans aux ciels tragiques parachèvent le tableau d’une dimension proprement spectaculaire. Entre les effets de ruissellement, la houle tempétueuse, le feu et la lave en fusion, les effets graphiques et les textures n’en finissent pas d’étonner. Sans conteste, le développeur fait preuve d’un savoir-faire technique hors pair, poussant le hardware de la console dans ses derniers retranchements.

« Le level design trouve bien vite ses limites et fait retomber le souffle de l’aventure. »

L’originalité de la série, c’ est d’avoir interprété au premier degré, de façon purement plastique et sans symbole, les mythes grecques qui ont nourri tant de péplums fantaisistes. Cet angle matérialiste qui traduit les dieux en boss de fin de niveau et les hauts lieux de la mythologie en zone à parcourir, imprime aux vieilles figures de l’antiquité une fougue et un allant de bockbuster exaltant. Que la direction artistique soit plutôt conforme à la licence est donc une bonne nouvelle, et permet de retrouver ce qui fait l’identité visuelle d’un God of War. Entre les allées humides recouvertes d’algues des temples aquatiques, la chaleur étouffante des souterrains de lave et les atmosphères cendreuses et chargées de poussière de l’admirable dernier niveau, le jeu déploie toute sa variété avec goût ,autour de l’eau et de la mort.

Seulement, le beauté d’un jeu ne donne aucun indice quant à son intérêt réel. Malgré la direction artistique admirable, un problème subsiste en effet : comment faire entrer le concept God of War dans une PSP? Autant essayer de faire tenir un éléphant dans un bocal. Sur consoles de salon à la capacité d’affichage plus musclée, le level design était un véritable élément de mise en scène. La trame narrative, mise en espace et racontée au sein du décor, était rythmée par des niveaux savamment tracés. Aussi profuse soit la technique sur cet opus PSP, le design des environnements de jeu trouve bien vite ses limites et ne tarde pas à faire retomber le souffle de l’aventure. Portable oblige, les zones trop petites se succèdent à grande vitesse en une sorte de « very best of » de lieux emblématiques de la mythologie. Les articulations trop abruptes entre les décors, sans logique narrative ni topographique, mettent définitivement à mal la consistance du parcours.

Assurant le label « licence respectée », le gameplay est malheureusement touché par le syndrome du copiste sans génie. Même principe de leveling par orbe rouge pour acheter des niveaux d’armes, même combos, mêmes animations du héros que dans les précédents opus, la jouabilité en combat n’avance pas d’un iota. Les phases d’exploration et de plate-forme, du même tonneau, ont des allures de simple copié collé sans saveur. Relevant un peu la sauce, quelques énigmes et un passage sous-marin assez oppressant ménagent des pauses bienvenues au milieu du récital barbare et routinier des combats… Le jeu se finit assez vite, mais affiche tout de même une durée de vie plus conséquente que Chains of Olympus, atteignant les six heures de jeu en mode normal.

Les pouvoirs magiques comme l’électricité, la tempête de froid et autre sphère d’antigravité sont de l’ordre du déjà-vu et du déjà-joué, et ce ne sont pas les quelques bonus, costumes et personnages débloqués après avoir fini l’aventure qui nous pousseront à relancer une partie. Les phases de boss, moments clés des God of War, sont certes spectaculaires, mais n’offrent que peu de challenge, et n’avancent pas de trouvailles de gameplay : on bourrine sans relâche avec un arrière goût d’occasion manquée. Une exception vient cependant secouer la progression ronflante lors du combat à mi-parcours contre un boss-oiseau, assez épique dans son déroulement.

Bis Repetita Non Placent

Hors de ces moments un peu plus excitants (la rencontre avec le roi Midas!), Le Fantôme de Sparte est tout simplement avare en idées originales, qu’il s’agisse de la mise en scène où du gameplay, tout entier accaparé par son soucis de ne pas avoir l’air « à côté de la plaque ». Plutôt que d’essayer de trouver son identité propre, le jeu ne prend aucun risque et se conforme sagement à nos souvenirs de la série, au point de se calquer sur des passages entiers des précédents épisodes. Loin de la folie des grandeurs et des emballements de la narration attendus, Le Fantôme de Sparte, en bon élève scolaire ne sortant pas des clous, ne se permet aucune des saillies fantastiques qui caractérisent la série, et beaucoup de séquences s’y succèdent dans l’indifférence générale.

Entre leurs temples construits comme des puzzles géants et leurs gigantesques scènes dynamiques modifiées en direct par le joueur, les épisodes de salon porteurs d’une haute idée du level design semblaient construits comme les rêves fous de décorateurs de cinéma. On est ici bien loin du compte : entre les « arènes » basiques et les chemins linéaires dont le seul élément de changement est la « tapisserie », le titre semble en rester à une vision archaïque du décor du jeu d’action. L’ambition minimale, purement cosmétique et technique, avec laquelle Le Fantôme de Sparte envisage ses environnements l’empêche définitivement de forger son identité. Le jeu saura séduire, sans aucun doute, mais du fait de son désintérêt total pour tout ce qui touche à sa narration et à la mise en jeu de ses niveaux, il ne laissera aucun souvenir impérissable… et cela n’est pas seulement du au support.

Conclusion

Au final, les limitations techniques de la PSP ont bon dos, et ne suffisent pas à excuser le manque de style et d’inspiration de ce God of War, à la traîne derrière l’inventivité constante de ses glorieux aînés. Pour être techniquement l’un des meilleurs beat’em all de la console, Le Fantôme de Sparte est également un jeu assez inutile. Ceux d’entre vous qui sauront passer outre l’absence d’idées excitantes profiteront sans doute de l’aventure, plaisante et visuellement faste pour la console. Cela dit, en servant la qualité de sa réalisation au mépris de sa narration et de sa personnalité, il se condamne à rien moins qu’un oubli rapide.

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Écrit par
Administrateur du site Etoile et champignon. Passionné par les jeux vidéo.

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