Critique de Fez : chef d’oeuvre de la plateforme-réflexion

Au terme d’un développement homérique de plus de cinq ans, Fez arrive enfin sur les rivages de nos Xbox 360. Combinant l’esthétique des jeux de l’ère 8-16 bits avec des mécaniques 3D plus modernes, le titre de Polytron suscitait des attentes énormes, avant que la mode grandissante du pixel-art ne menace de banaliser son approche minimaliste. Manette en mains, Fez se révèle heureusement d’une toute autre étoffe. Loin du simple plateformer au look rétro sympatoche, il s’impose comme l’un des titres indépendants les plus aimables de ces dernières années, vertigineux trip nostalgique ponctué de belles trouvailles ludiques.

Le basculement 2D-3D pour les nuls

Gomez, le héros de cette aventure, croyait comme ses semblables habiter un monde bi-dimensionnel, jusqu’à se voir confier un mystérieux artefact – le fameux Fez du titre – qui lui révèle l’existence d’une troisième dimension. Suivant la logique de ce pitch, les mondes de Fez seront modélisés en 3D pour être représentés sous une perspective 2D : idée astucieuse qui permet au joueur de pivoter la caméra à angle droit en appuyant sur les gâchettes, basculant le niveau d’une face à l’autre.

On se promène ensuite à la façon d’un jeu de plateforme classique, à ceci près que le parcours est morcelé entre les quatre faces du niveau. En progressant sous une seule perspective, le joueur se heurte immanquablement à des impasses – zones d’escalades coupées à mi-hauteur, gouffres infranchissables. Pour dévoiler de nouveaux passages, il lui faudra pivoter la vue pour changer l’allure du tableau : des plateformes trop espacées se rapprochent, des vignes d’escalade scindées en deux se raccordent à la verticale, permettant au joueur de tisser son parcours entre 2D et 3D.

De façon surprenante, le navigation dans les niveaux à coups de changement de perspective devient vite intuitive, à mesure que la mécanique 3D se clarifie : le recadrage n’est pas un simple changement de vue mais bien un ré-agencement complet de la topographie du tableau. Pour chaque plan, seuls existent les éléments visibles à l’écran, « face caméra » – ceux qui sont cachés perdent leur solidité. Cette approche oblige le joueur à réfléchir en 3D dans un espace en deux dimensions, source de quelques vertiges et migraines.

Gameplay entre énigme et plateforme

Guidé par une ligne claire, le level-design a le bon goût de ne pas complexifier ses niveaux outre mesure et sait rester limpide, malgré le degré d’élaboration de certains d’entre eux. La difficulté reste dosée avec justesse, et tiendra le plus souvent aux nouvelles applications du gimmick dimensionnel : leviers modifiant l’orientation d’un pan du décor, épreuves en temps compté mobilisant l’orientation-réflexe. Les articulations 2D-3D sont nombreuses et renouvellent constamment l’expérience ludique.

Mettant l’accent sur les parcours-énigmes plutôt que sur le franchissement habile, les niveaux ne comportent aucun ennemi et ne sanctionneront jamais les sauts ratés : après une chute mortelle, Gomez « ressuscitera » sur la plateforme la plus proche. Un choix de design qui oriente les phases de plateforme vers l’exploration posée, propice au simple plaisir de la balade. Légèrement imprécise lors des sauts, la maniabilité un peu laxiste n’est du coup pas si gênante ; on se retrouve plus souvent bloqué par un agencement énigmatique du parcours que par un franchissement ingérable.

La recherche des cubes, quête au doux parfum de nostalgie

Pour motiver la progression, Fez propose de rassembler 32 cubes éparpillés dans les niveaux. Un système d’icônes sur la carte permet de ne jamais rester bloqué dans sa recherche et d’éviter toute frustration. Autre point appréciable, le monde se structure autour de carrefours qui offrent d’accéder directement aux zones inexplorées, évitant les aller-retour lourdingues. Outre les cubes jaunes et bleus (les plus ardus à trouver), Fez compte toute une collection d’artefacts (clés, cartes secrètes, morceaux de cœurs) qui semblent converger vers un même objectif : raviver la mémoire et l’émotion suscitées par les jeux japonais des ninetines. L’ouverture d’un coffre est à ce titre l’occasion d’une animation délicieuse « à la Zelda » ; petit détail épinglant un souvenir précis de gamer, auquel se joignent de nombreuses autres références et attentions minutieuses : de leur petit bestiaire de pixel au design de leurs textures, chaque tableau résonne comme une déclaration d’amour aux formes vidéo-ludiques d’antan.

Les mondes de Fez semblent eux-même connectés de façon moins logique qu’affective, comme régis par un principe de libre association subjective : un ilot sur fond de ciel bleu peut déboucher sur un cimetière lugubre en plein orage, le trou d’un arbre sur un immense espace à l’intérieur du tronc. Couches par couches, cette succession de niveaux enchâssé les uns dans les autres compose un étrange voyage où les tableaux surgissent comme des souvenirs bercés de nostalgie. Si les raccords entre les mondes obéissent bien à un certain ordre thématique – réseau « cascade », « industriel », « temple incas », etc. – les connexions sont constamment surprenantes, et contribuent à l’impression délicieuse de se perdre dans la profondeur d’un labyrinthe.

Des musiques sublimes

Pièce maîtresse de l’édifice, la musique aligne les mélodies sublimes, transformant certains tableaux en petits cocons chaleureux où le son et l’image s’harmonisent parfaitement. Il faut voir comment les nappes mélancolique se posent en douceur sur les bruissements du vent, ou comment, dans l’un des derniers niveaux, une éléctro entrainante vient caler les aigus de sa mélodie en rythme sur l’apparition de plateformes, sur fond de beat décontracté : les délices esthétiques de ce type sont légion, et pourraient bien devenir le premier moteur de votre progression dans le jeu.

Pour prolonger le plaisir, le premier run d’une durée de 5 à 6 heures s’annexe d’un new game + indispensable qui permet de débusquer les nombreux secrets cachés dans les niveaux. Si ce challenge hardcore à base de décodages – prise de note obligatoire ! – se destine d’abord aux complétistes acharnés, il offre aussi, simplement, l’occasion de revisiter la profondeur d’un monde que l’on ne quitte qu’à regret.

Conclusion

Sous ses airs de petit jeu minimaliste, Fez cache un somptueux voyage combinant nostalgie des vieux platformer 2D et modernité d’un gameplay tri-dimensionnel. Aperçue dans d’autres titres (Paper Mario en tête), cette mécanique alliant 2D et 3D trouve ici une forme d’accomplissement grâce à un level-design fabuleux qui sait se renouveler constamment. Solide sur le plan ludique, Fez frappe également par la cohérence esthétique de ses mondes, bercés d’une musique somptueuse – et ce ne sont pas les quelques grippages techniques qui suffiront à ternir le constat : Fez est l’un des jeux indépendants les plus mémorables de cette décennie.

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Écrit par
Administrateur du site Etoile et champignon. Passionné par les jeux vidéo.

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