On s’était laissé dire que le précédent jeu du studio allemand Mimimi, Shadow Tactics, était un bon jeu d’infiltration tactique, genre qui ne compte finalement que peu de représentants. Même s’il ne fait que raffiner sa formule, leur Desperados 3 nous a vraiment accroché, à défaut de nous avoir captivé par son histoire de western aux poncifs éculés, portée à bout de bras par des cinématiques mollassonnes. Rien de bien gênant : la narration n’est ici qu’un habillage pour des situations de jeu autrement passionnantes et pointues, mêlant problèmes de géométrie pratico-pratique (naviguer discrètement dans un espace saturé d’ennemis) et épreuves d’adresses en temps réel (le faire sur de brefs intervalles de temps).
On y contrôle un ensemble de 5 héros disposant chacun de leurs propres aptitudes, à combiner astucieusement pour distraire les ennemis, les faire se déplacer si besoin et les neutraliser. Leur placement et la configuration du décor conditionnera l’action à choisir : on pourra détourner les regards à l’aide d’une pièce jetée par McCoy, ou bien attirer un ennemi dans un coin en lançant le sac du Doc, en faisant siffler Hector, en usant des charmes de Kate ou encore du contrôle mental d’Isabelle, prêtresse vaudou dont l’arrivée dans le groupe ouvrira aux combos les plus fous, notamment par son pouvoir de relier deux ennemis dans un même sort. Pour neutraliser les bandits, le panel des actions n’est pas moins varié et implique d’exploiter les spécificités de chacun pour s’affranchir au mieux de chaque situation. McCoy sera le plus rapide à tuer, tandis qu’Hector sera plus lent, mais surclassera les plus forts : à chaque contexte son assassin de choix.
L’ensemble se joue à la souris, comme dans un RTS qui aurait mis l’accent sur la micro-gestion des actions et des déplacements, lesquels deviennent extrêmement précis à mesure que la difficulté augmente. Peu habitués que nous sommes à ce type de contrôle, le jeu nous est d’abord un peu tombé des mains : réussir une séquence implique en effet d’enchaîner beaucoup de petites actions laborieuses, de combiner des raccourcis sur clavier à des déplacements et ciblages très précis à la souris, rendant la progression d’abord fatigante en plus de l’entacher de nombreuses erreurs de manip. On progresse toutefois nettement dans le maniement des personnages, jusqu’à finir par sentir presque instinctivement les possibilités de jeu une fois rompu au timing des rondes, à la permissivité des cônes de vues et aux subtilités du gameplay.
D’une manière générale, un tableau de Desperados 3 se présente comme un problème ludique mis en espace : comment traverser tel endroit rempli d’ennemis, dont les lignes de mire, représentés par des cônes forment un maillage défensif indémêlable ? Tout début de solution passe par une phase d’observation du placement des bandits, du mouvement de leur regard et de leurs propres déplacements : à force de remonter d’ennemi en ennemi, les « forteresses » que constituent chaque lieu finissent toujours par révéler une brèche, sous la forme d’un garde que personne ne surveille et que l’on peut tuer sans risque. Cet ennemi neutralisé, il ne reste plus qu’à s’abattre de proche en proche sur la chaîne de regards et, pour filer la métaphore textile, à tirer sur le fil de la pelote, dans un sentiment grisant de prise de pouvoir sur la carte à mesure que le maillage des lignes de mire se défait sous nos yeux.
Il faut dire que ces dénouages initiaux se gagnent parfois de haute lutte, tant le jeu n’admet par l’erreur : lorsqu’un ennemi sonne l’alerte, l’infiltration s’emballe en fusillade aussi ingérable que frustrante, entrainant presque toujours la mort d’un de nos personnage et le game-over. Tout le système nous pousse à progresser sans être repéré, à ne pas hésiter à abuser pour ce faire de la « Scum-Save » (sauvegarde-recharge à outrance), et à jouer par petits éclats d’action foudroyants en utilisant la « pause active » (appelée Showdown) pour programmer nos commandes à l’avance, à l’abri du défilement du temps : en résultent des moments d’une suprême élégance, comme lorsque l’on parvient à neutraliser dans un même souffle deux ou trois bandits qui se tiennent du regard en triangle défensif, après s’être positionnés dans leur dos au millimètre près et avoir lancé un volet de distractions synchronisées pour s’offrir une brève fenêtre d’action.
Par le placement toujours plus contraignant des ennemis, le jeu nous pousse à enchainer de tels coups d’éclats jouissifs, quand il ne nous tend pas ostensiblement des perches sous la forme de bouts de décors interactifs – une cloche à décrocher de son clocher, un pan de mur à pousser, un pont de bois à exploser à la dynamite -, ouvrant sur de spectaculaires assassinats camouflés en accidents. Cela dit, même hors de ces moments scriptés, les niveaux marquent par leur attrait visuel et l’intelligence de leur construction, alternant entre impasses naturelles et bifurcations, jouant habilement sur les différences de hauteur entre le sol, les étages et les toits pour nous inciter à approfondir notre niveau de lecture, notamment par l’usage de la caméra ré-orientable à 360° pour une lisibilité optimale.
Ce qui marque au final dans Desperados 3, c’est bien cette finesse qui s’invite à tous les étages de son game-design : finesse de ces meilleures idées, comme ce niveau traversé par un train dont le passage nous permet de couvrir nos méfaits ; finesse des combos d’aptitudes, que le dernier niveau illustre magistralement en donnant l’une des rares occasions de jouer tout le monde en même temps, notamment lors du beau final en mode « showdown » (l’un des sommets du jeu) ; finesse, enfin, des rouages les plus précis du gameplay : du type de distraction à la rapidité d’assassinat, en passant par la vitesse de déplacement avec un corps sous les bras, ce sont les différences subtiles entre les héros qui deviennent au final les données de premier ordre, au moment de choisir qui fera quoi et quand. Que le jeu nous ait fait nous plonger si profondément, et avec un tel enthousiasme, dans les replis de ses mécaniques alors qu’il avait commencé par nous saouler les premières heures, est sans doute le meilleur signe de son brio.