Tout remake est une tentative de rafler la mise sur la nostalgie de ses « fans », et celui de Final Fantasy VII ne fait pas exception. Mais un coup commercial peut aussi cacher un excellent jeu, et l’on pouvait espérer que ce remake soit plus qu’un produit bien calibré. Las, la dimension « industrielle » y prévaut trop souvent, et si ses meilleurs moments épinglent ce qu’un remake peut produire de plus fort (de pures remontées de souvenirs, gonflés de nouveaux détails qui sonnent juste), ceux-ci sont dilués dans une trame générale à l’intérêt tout relatif, modelé par d’assez médiocres conventions de genre plutôt que par une affection pour le matériau original.
Premières heures réussies
La déception est d’autant plus grande que les trois premières heures sont vraiment réussies, grâce à un dosage d’abord assez fin entre l’ancien et le neuf. À ce titre, le début du jeu fait toujours forte impression en nous catapultant en pleine mission d’éco-terrorisme, aux commande d’un mercenaire recruté par un groupe de sympathiques activistes (pensez Greenpeace en plus musclé). On s’y (re)découvre ainsi du côté des démunis, opposé à la toute puissante société Shinra qui accroît sa richesse sur l’exploitation des ressources de la planète et, imagine-t-on, sur la sueur des travailleurs (ce dont le jeu ne fait pas grand cas, ceci dit). S’il semble moins « sur le nerf » de ses thèmes (violence légitime, catastrophisme écologique) que le jeu original, le remake restitue tout de même assez bien le gouffre de richesse qui sépare les deux mondes (les bidonvilles d’en bas, les beaux quartiers d’en haut), ce qui l’imprègne d’au moins un peu de pertinence.
Mais c’est surtout sur le plan esthétique que le remake étonne, en offrant de découvrir une version réaliste des décors de l’original, parmi lesquels les désormais somptueuses rues pavées du secteur 8, la belle église s’élevant au milieu des déchets, le bar de guingois dont notre bande à fait son Q.G. ou la salle du premier réacteur, dont le gigantisme laisse pantois. Tous ces décors, et bien d’autres encore, sont non seulement remplis d’une foultitude de détails qui accrochent le regard (façades en briques irrégulières, rampes décorées de guirlandes, lumières très travaillées…), mais ils prennent aussi des proportions sidérantes, comme le rappelle constamment ce lointain ciel de métal dont l’image de fond, très détaillée, recouvre la plupart des environnements du jeu comme un couvercle. On se prend même à penser que l’original tient maintenant du « demake » de la version 2020, tant cette dernière donne de certains endroits – et des musiques magnifiquement réorchestrées – leur version idéale.
Quant au système de combat, mélange réussi d’action en temps réel et de tour par tour, il s’avère plutôt prenant : on peut frapper l’ennemi, esquiver ou parer ses coups tout en se déplaçant librement et en changeant de personnage, le temps qu’une jauge se remplisse pour ouvrir d’autres options. Il devient alors possible de mettre l’action en pause pour choisir entre des sorts et d’éventuels coups spéciaux, adossés à un système de « matéria » équipables hors combat, hérité du jeu de 1997 et qui reste l’une des meilleures trouvailles de la licence par sa simplicité et sa modularité. La plupart des affrontements se joue ainsi sans déplaisir, sans que rien d’essentiel ne s’y casse de l’expérience originale sinon, parfois, notre patience, contre certains boss dotés d’une quantité astronomique de point de vie, et dont le grand spectacle finit par s’éventer à force de traîner sur la durée.
Un problème de dilution
Le problème central ne tient donc pas à l’action, mais à un choix de design qui est aussi un calcul commercial : celui de découper le jeu d’origine en plusieurs épisodes destinés à être vendu au prix fort. Comment gonfler le segment de Midgar (la ville du départ), d’une durée de 7 à 10 heures à tout casser dans le jeu de 97, pour qu’il en fasse le quadruple ? La réponse du studio est une dilution à l’extrême du matériau initial (ses décors, ses dialogues, ses moments-clés), dans un fond de J-RPG moderne tout ce qu’il y a de plus routinier et ennuyeux. Dès le chapitre 3 s’invite en effet une structure en quêtes annexes vaguement scénarisées, qui font multiplier les allers-retours pour apporter des légumes à des Chocobos perdus dans des décharges, tuer des lézards volants dans des usines désaffectés et faire des compétitions de squats via des mini-jeux aussi peu amusants qu’inspirés (pour ne donner que trois exemples parmi les plus consternants).
Quand il nous perd ainsi dans des tâches insipides, ce que fait le jeu est évident : il joue tout simplement la montre, comme lorsqu’il fait durer ses séquences à moto plus que de raison, qu’il complique le parcours de détours lourdingues ou qu’il l’entrave de puzzles sans intérêt, destinés uniquement à grappiller des minutes de jeu. Le chapitre 6 en est un bon exemple, étirant ce qui n’était qu’une mission franche et directe dans l’original en un labyrinthe de passerelles métalliques indistinctes, surplombant une vision certes impressionnante du bidonville, mais dont on a largement le temps de se lasser tant le parcours s’éternise. Quelques beaux moments surnagent tout de même dans cette trame ludique toujours plus diluée : on pense à la visite chez la mère de Jessie (un personnage secondaire joliment étoffé dans le remake), qui donne à voir un quartier résidentiel composé d’humbles petites maisons aux jardinets timides, où l’on imagine bien vivre la working class locale ; on pense aussi au final dans la tour Shinra, qui retrouve la belle consistance des débuts en s’appuyant sur des moments et décors mémorables, et converge vers deux heures de conclusion tellement spectaculaires que l’on se demande bien comment les épisodes suivants réussiront à sur-miser.
Reste qu’entre chacun de ces segments, le jeu se met à nous fatiguer assez souvent, parfois même à nous irriter, comme lorsqu’il fait de Wedge la cible récurrente de moqueries « sympa » sur son surpoids, ou qu’il s’acharne à sous-animer les visages des héros (Tifa, Aeris, Cloud). Qu’ils correspondent aux canons de beauté ayant court de Séoul à Tokyo, passe encore (avec son visage androgyne à la peau de bébé, Cloud fait figure d’étendard absolu de l’host japonais ou de la star de K Pop). Le problème tient plutôt à leur inexpressivité, dont on comprend qu’elle est la marque de leur coolitude : être cool, être classe, c’est se contenir, ne surtout pas montrer d’émotions, ou alors a minima, quitte à se voir immédiatement « retenu » par les copains en cas d’éclat (cf. Tifa venant « calmer » Barrett lorsqu’il s’emporte)… soit tout le contraire des « méchants » de la Shinra, dont les grimaces excessives et franchement insupportables sont censées révéler le vice et la laideur intérieure (à ce titre, on a vécu les passages avec Don Cornéo comme une vraie souffrance).
En prenant ce parti du cool contre celui de l’expressivité, le jeu tombe non seulement dans une physiognomonie de bas étage (les méchants subalternes sont moches et les héros sont beaux), il rate aussi ses moments censément les plus forts et émouvants, où les personnages principaux, qui devraient fondre en larmes, peuvent à peine froncer les sourcils et plier vaguement la bouche, comme bouffis par le botox. Si cela n’empêche pas le « climat ludique » de rester globalement plaisant – on peut facilement se laisser porter par son peps adolescent et son goût pour la mise en scène clinquante -, on a vécu ce manque d’expressivité comme un goulot d’étranglement de l’émotion, qui aurait pourtant dû affleurer en de nombreuses occasions. A force de dilutions de son intérêt et de scènes-clé neutralisées de l’intérieur, ce remake, qui avait commencé par nous plaire, a fini par nous chagriner puis nous ennuyer assez régulièrement. Le FF7 original reste donc, à ce jour, la meilleure version, mais on espère tout de même un rebond pour la suite.