Voilà quelques mois, on lançait Valheim en coop pour une partie d’une trentaine d’heure, mise en pause au seuil du 4ème biome, celui de la montagne. On y reviendra à coup sûr : dans sa catégorie des jeux « à la Minecraft », comme il en pullule aujourd’hui sur PC, Valheim nous laisse le souvenir d’un jeu de bonne tenue, surtout pour une alpha dont le potentiel ne pourra que s’étoffer par la suite.
Comme j’écris cet article à froid, me reviennent d’abord ses grandes lignes : Valheim commence par être un jeu « bac-à-sable », où les phases de collecte, de crafting et de construction occupent le plus clair du temps. À d’autres moments, il est aussi un jeu d’exploration plus structuré, presque à la manière d’un RPG (avec boss de fin de région, mini-donjons aléatoires à vider), dans un monde d’apparence ouvert qui ne permet pas d’aller partout tout de suite : la progression y est canalisée par un système de « biomes » à explorer dans un ordre invariable – d’abord les plaines, puis les forêts noires, puis les marais… -, dont les ennemis toujours plus costauds imposent de passer des paliers d’équipements, conditionnés par la collecte de nouvelles sortes de ressources.
S’il fallait repérer un socle ludique, ce serait sa pratique en « routines », faites de longues phases de collectes, de fabrication d’objets et de construction d’un campement principal qui, de la petite fermette des débuts, grandira jusqu’à devenir un gigantesque fortin entouré de murailles, avec son port, ses champs, ses multiples bâtiments : une perspective de jeu motivante, qui passe toutefois par une foultitudes de petites actions répétitives (collecter, crafter, construire), que d’aucuns verront comme une corvée, quand bien même le mode coop permet de « partager le fardeau » et d’adoucir la pilule. N’étant pas moi-même un grand constructeur, j’ai laissé mon acolyte s’occuper de la maçonnerie, et trouvé à peu près mon compte dans les virées de collecte, à diviser mon temps entre la déforestation, le minage, la chasse et la cueillette, entrecoupés de combats contre les petits groupes d’ennemi surgissant de façon aléatoire.
D’une façon générale, la formule de Valheim a pour ainsi dire deux facettes : côté pile, il y a une indéniable forme de relaxation à trouver dans sa routine en exploration-collecte-construction, gratifiée à mesure du temps investi (par le campement qui grandit, l’équipement qui s’améliore, l’horizon qui s’ouvre en récompense). Côté face, cet aspect routinier est aussi ce par quoi le jeu a plafonné à notre goût, et fini par avoir raison de notre patience. Mais avant d’atteindre ce trop-plein, l’impression dominante est restée celle d’un jeu au-dessus de la mêlée, fort de qualités qui le distinguent du tout venant du Minecraft-like. Il est d’abord simplement magnifique, avec sa combinaison d’une approche « low poly » et d’effets plus modernes, qui enjolivent tous les paysages : les prairies n’y sont pas de simples aplats texturés, mais des étendues couvertes de touffes d’herbes que le vent fait onduler ; quant aux lumières, elles restituent toutes les nuances du jour et de la nuit, magnifiant les aubes et crépuscules de leurs rayons traversants, croisant parfois des brumes si épaisses qu’elles en deviennent presque palpables.
Au-delà de leur attrait visuel, ces effets donnent au monde un surplus de consistance, que la physique amplifie à chaque instant : elle fait jouer avec la chute des arbres, piloter les bateaux par la « prise au vent » de leur voile, transforme les troncs flottants en ponts de fortune, et rend les pentes abruptes éprouvantes à monter ; bref, elle confère à ce monde, cassable et morcelable à l’envi comme dans un Minecraft, un cran de matérialité supérieure, qui devient comme une seconde peau pour chaque instant de jeu. On a souvent dit dans nos pages combien les expériences ludiques à forte matérialité, surtout lorsqu’elles reposent sur une forme d’action (ici les combats, les déplacements, le minage, la coupe d’abres) multiplient leurs chances de créer des expériences affectantes. C’est le cas de Valheim, dont les situations sont souvent exhaustées d’être plus « matérielles », plus pesantes et précises dans l’espace. Les combats, par exemple, bien qu’assez sommaires dans le fond, sont d’autant plus accaparants qu’ils font de l’allonge des armes un élément essentiel en pratique (on joue sans cesse de la distance à l’ennemi), et qu’ils s’efforcent de restituer la percussion des coups par des sons et animations marqués ; une attention formelle que l’on retrouve lorsque l’on mine ou bucheronne au rythme des outils percutant et cassant la surface du monde.
Mais ce qui nous a le plus plu dans Valheim, c’est encore la qualité de ses environnements, remarquables pour un jeu au level-design procédural. Évitant l’écueil d’espaces trop fouillis, trop souvent constatés dans les jeux du même type, ils s’agencent ici en topographies limpides et souvent jolies : des vallons creusés de petites rivières, de franches et belles lignes de côtes, des forêts denses en fourrés et affleurements rocheux, de vastes plaines aux reliefs doux… Où que l’on se tienne, le monde regorge d’espaces intéressants, et c’est d’abord cette densité en beaux agencements qui commande l’envie d’explorer, d’aller voir de l’autre côté de tel bras de mer, de tel cap ou de telle forêt, à quoi ressemble le décor qui s’y cache.
C’est là que Valheim a fait mouche pour nous, en tant que jeu de grandes traversées avant tout motivées par la curiosité du regard, et la formidable aventure qui peut s’ensuivre. L’une de nos odyssées a ainsi été l’occasion d’un excellent moment de coop. Après vingt minutes d’un trajet éprouvant, notre voyage s’est mis à dérailler à l’approche d’un rivage inconnu : des moustiques venus de la plage voisine nous attaquent, nous pulvérisent en deux secondes et nous renvoient sur l’île de notre dernier campement, sans portail vers le Q.G. ni aucun équipement, resté sur nos cadavres. Ne nous restait plus qu’une solution pour sortir de l’impasse : repartir de zéro sur cette île qui se révèlerait infernale, ponctuée d’à peine quelques poches de plaines au milieu de biomes mortels, traçant un mince chemin pour espérer se relancer jusqu’à la construction d’un bateau et le retour à notre base. Pendant les quelques heures de stress qu’a duré cette session, on s’est approché au plus près du ressenti de naufragés, les sens aiguisés par le danger et le risque que cette situation mette un terme à la partie. Aussi lassant qu’on ait finit par trouver Valheim, un jeu capable de créer de tels moments, où chaque pas peut se voir densifié par l’émotion et les enjeux de survie, mérite une franche accolade.