Critique de Civilization VI : une belle machine ludique

Dans le genre des 4X, la série des Civilization est restée la plus populaire, tant pour sa mise en forme agréable que pour son thème passionnant : le rejeu de l’Histoire aux commandes d’une civilisation, de l’installation de son premier village à sa conquête de l’espace. Si l’on ne se risquera pas à comparer ce Civ 6 aux jeux d’avant, n’en n’ayant qu’une connaissance lacunaire, on peut au moins dire tout le bien que l’on en pense : cette nouvelle mouture nous a tout simplement captivé, tant par son thème joliment servi (par des graphismes soignés et ses innombrables références à l’Histoire) que par le raffinement de ses systèmes de jeu interconnectés, aux coutures subtiles.

Une chose saute aux yeux dans Civ 6, c’est l’importance de sa topographie. À l’entame d’une partie, la découverte d’une nouvelle carte-monde, à commencer par la proche région initiale est toujours un grand moment. On prend plaisir à s’en approprier les moindres détails, de ses chaines de montagne à son littoral en passant par les ressources que recèlent les cases voisines, en tacticien planifiant minutieusement les prochaines villes à poser à la case près, se projetant sur une dizaine de choix futurs. Le temps passé à se perdre en considérations géographiques, tant dans les déplacements d’unités que dans l’extension des limites de notre empire, est tel que notre souvenir d’une partie devient indémêlable de sa carte-monde.

Si la topographie est la « matière première » d’une partie, la forme en serait celle d’une course de petits chevaux réglée par des systèmes de points, menant vers plusieurs lignes de victoires parallèles : victoires diplomatiques, suprématie militaire, domination culturelle ou encore religieuse (on en passe) donnent autant de grandes directions à suivre, multipliant les parties possibles. Le brio de Civ 6, c’est que les systèmes qui sous-tendent ces victoires ne fonctionnement pas séparément mais reposent au contraire sur de nombreuses interconnections. Presque tout et couturé sur tout, formant un grand ensemble de systèmes dont le mouvement général pourra d’abord sembler opaque et immaîtrisable, une impression qui s’amenuise grandement à mesure que l’on découvre des leviers efficaces pour contrôler la bête et l’infléchir dans telle ou telle direction, selon la victoire visée.

Le système « religion », par exemple, se révèle un moyen efficace de tirer précocement parti de notre région (de ses fleuves, par exemple), pour tenter de prendre un peu d’avance sur la compétition. Le système « gouvernement » est un autre levier au raffinement remarquable : chaque régime se présente sous la forme d’un plateau où placer des cartes obtenues via l’arbre des dogmes, permettant de régler le moteur de sa civilisation avec précision et de l’adapter à une situation impromptue, en basculant par exemple vers une production massives d’unités militaires pour faire face à une blitzkrieg par le choix du bon dogme. L’indispensable arbre « technologique », colonne vertébrale de toute partie, est bien sûr de retour dans Civ 6, et s’annexe au passage d’une nouveauté bienvenue sous la forme d’Eurekas : ils se déclenchent lorsque des conditions sont réunies pour accélérer l’accès à de nouvelles technologies (la construction d’un pâturage accélérera ainsi l’apprentissage de l’Irrigation). Pour le temps qu’ils font gagner et l’avantage stratégique qu’ils offrent, ces missions qui ne disent pas leur nom sont une manière habile de densifier chaque tout de jeu d’une nouvelle couche de choix importants.

L’une des nouveautés de Civ 6, les gestion des villes par quartiers plutôt que par bâtiments isolés, est aussi l’un de ces meilleurs systèmes. On étend désormais nos pôles urbains en construisant des quartiers spécialisés (campus, zones industrielles, campements militaire, etc…) que l’on pourra ensuite étoffer de nouvelles construction. Ces quartiers occupent une unique tuile, à choisir avec soin puisque la topographie environnante et les aménagements alentour sont susceptibles de lui octroyer divers gains : une ville jouxte une merveille naturelle ? Les cases voisines bénéficieront d’un bonus de foi, et seront un lieu tout indiqué pour poser un lieu sain. Telle autre cité borde une montagne et une jungle ? Leur proximité conférera un bonus scientifique propice à l’installation d’un campus, qui boostera la recherche. L’avantage de ce système en quartiers, c’est qu’il force la spécialisation de chacune de nos villes et fait sortir des routines de constructions « par défaut », qui consisterait à poser les mêmes bâtiments partout, sans regard pour les atouts locaux. Une fois de plus, la carte-monde s’impose comme une donnée brute, ou pour filer une autre métaphore, comme un diamant brut dont la forme et la configuration en ressource imposerait une taille à chaque fois singulière, faite de décisions sans retour. C’est d’ailleurs l’un des aspects les plus prenants de Civ 6 : chaque choix que l’on y fait a des implications majeures – en temps de construction, en ressources dépensées, en actions empêchées -, implications qu’il faut sans cesse mesurer à l’aune de leurs gains potentiels, dans le contexte de la course vers la victoire qui nous oppose aux autres joueurs.

Cette impressionnante densité de choix devait bien se payer quelque part, et c’est au niveau de l’interface que l’on fait en fait les frais : saturée de petites icônes, elle complique l’accès à des informations que l’on aimerait avoir plus facilement, et cache parfois des éléments-clés derrières des menus que l’on ne découvre qu’après plusieurs parties (on pense aux échanges diplomatiques cachés derrière les icônes des dirigeants, par exemple). Au rang des opacités durables, les réactions de l’I.A. à nos décisions ne deviennent pas toutes prévisibles avec le temps : après une soixantaine d’heures de jeu, on ne comprend toujours pas la raison de certaines guerres-surprises qui nous sont tombées sur le paletot, alors que nous n’étions pas particulièrement agressifs et qu’aucun signal avant-coureur ne les laissait supposer. Mais s’arrêter aux doléances ne rendrait pas honneur au jeu tant il recèle des richesses cachées : on pense aux cités-états, qui ouvrent tout un champs d’action via l’envoi d’émissaire et de gouverneurs, lesquels cachent eux-même tout un système de bonifications à haute teneur tactique ; on pense aussi à la compétition pour les systèmes partagés que sont les Personnages Illustres et les Merveilles, dont certaines apportent des bonus qui peuvent faire toute la différence, en plus d’enjoliver nos villes de leurs jolis modèles.

On pense enfin à tout le volet guerrier, que nous n’avons découvert que sur le tard mais qui nous a captivé, notamment par sa prise en compte, encore, de la topographie comme nerf de la guerre :  pour assiéger une ville, les contraintes géographiques et la règle d’une unité par case impliquent toute une réflexion sur l’angle d’approche, le placement et le mouvement des unités, ou la composition de l’armée qui permettra de tirer le meilleur parti de la carte. Et l’on n’a pas même évoqué ce qui permet de « réussir » un bon casus belli, à mijoter juste ce qu’il faut pour être du bon côté de l’Histoire et éviter les représailles : une décision un peu trop agressive, une diplomatie un peu trop abrupte et ce sont toutes nos alliances qui peuvent s’effondrer comme un château de carte et se retourner contre nous, faisant de la voie guerrière une étroite ligne de crête palpitante à tenir. Redisons pour finir combien le jeu est thématiquement passionnant et visuellement attrayant, comme en témoignent les portraits animés des leaders, ou encore l’allure des mégalopoles sur la carte en fin de partie, clinquantes de toutes leurs merveilles, de leur myriades d’aménagements et de leur façon d’épouser les contours d’une topographie singulière. Pour toutes ces raisons, de fond comme de forme, de thème comme d’intérêt ludique, Civ 6 est notre 4X préféré du moment.  

+
  • De nombreux systèmes ludiques imbriqués les uns dans les autres
  • La construction quartier par quartier, qui singularise les villes
  • La topographie au premier plan ludique
  • Plusieurs manières vraiment distinctes de gagner (guerre ouverte, diplomatie, culture...)
  • Réalisation soignée, thème historique bien servi
-
  • L'interface un peu trop fouillie, qui complique les premières parties (on s'y fait)
  • Les réactions parfois opaques de l'I.A., notamment sur les guerres-surprises
  • Certaines fins de partie un peu ronflantes
8
Écrit par
Administrateur du site Etoile et champignon. Passionné par les jeux vidéo.

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