Test écrit en novembre 2011.
Tenant le rythme de l’épisode annuel mis en place depuis le deuxième épisode, Assassin’s Creed Revelations est un peu l’épisode de toutes les interrogations. D’abord, parce que son titre, qui promet des réponses aux nombreuses questions en suspens, prédit un épisode plus narratif que novateur sur le plan ludique. On pouvait craindre également que ce nouvel épisode paye enfin les frais d’un développement rushé, ce que Revelations évite de justesse sans pourtant renouveler la réussite de son prédécesseur : un sauvetage qu’il doit aux forces de son gameplay, intelligemment mis à jour, et à son effort constant de narration qui lui assurent tout de même de solides vertus ludiques.
Good old Ezio
Cet épisode commence par une première surprise – certes éventée par les annonces d’Ubisoft : celle de se retrouver aux commandes d’un Ezio cinquantenaire, aux portes de la vieillesse. Ainsi débarque-t-il à Constantinople, barbe blanche et traits vieillis, guidé par une sagesse et une sérénité de vieux maître. En quête d’identité notre homme part en chasse des clés de Masyaf, l’antique cité syrienne qui servait de domaine aux assassins pour y trouver la bibliothèque de feu Altaïr (héros du premier épisode)… une découverte que lui disputent les templiers, qui seront ses principaux ennemis. La progression alterne ainsi les longs passages joués à Constantinople et les incursions/flashbacks dans la citadelle de Masyaf, aux commande d’Altaïr à différentes périodes clés de sa vie.
Outre les quêtes principales qui occupent, en ligne droite, une dizaine d’heures à tout casser, la structure du jeu elle-même n’a pas fondamentalement changée et repose toujours sur son deuxième pilier essentiel : les quêtes secondaires. Foisonnantes et diverses, elles se débloquent ici de la même façon que dans Brotherhood, partant d’une ville totalement assiégée par l’ennemi. Quartier par quartier, il faut alors traquer le chef des templiers du coin, le tuer puis briguer la zone en allumant le feu de la tour avoisinante. Il ne reste plus qu’à faire fleurir tous le quartier, du repaire d’assassins local aux magasins divers – médecin, forgeron, banque, tailleur et libraire – en passant par les locaux de factions.
Progression revue par touches stratégiques
Ces différents Q.G. sont les points de départ de quelques unes des quêtes secondaires les plus intéressantes du jeu. Aussi variées que dans le précédent épisode, elles bénéficient d’un enrobage narratif convaincant qui contribue à nous impliquer dans la traque, l’assassinat ou l’escorte du moment. Pour améliorer ses facultés en combat, le joueur dispose par ailleurs d’un vaste choix d’équipements qui affectent ses statistiques. Elles sont l’une des nombreuses occasions de dépenser son argent, amassé selon un progression aux airs de déjà vu : d’abord par récompense de quête, menu larcin et coffres trouvés au hasard, puis grâce aux magasins et monuments achetés, qui génèrent eux-même un revenu tombant toutes les 20 minutes sur le compte en banque.
Le solo de Revelations prend de surcroitun tournant bien pensé vers la gestion stratégique de son territoire : chacun des repaires du joueur peut-être assiégé par l’ennemi tant qu’il n’est pas dirigé par un maître-assassin. On l’apprend d’ailleurs à la dure, lorsque les attaques commencent à se succéder en cascade. La première incursion stratégique intervient lors des reprises de territoires contestés jouées façon tower-defense, en plaçant assassins et barricades pour stopper le flot ennemi. Si la petite armada dont on dispose donne lieu à de sympathiques ajustements stratégiques lors des premières parties, cette phase reste malheureusement trop limitée et « mécanique » pour éviter la répétition.
Dès lors, deux solutions existent pour éviter les attaques de repaires : former un maître-assassin assigné à chaque quartier, ou bien entretenir son propre status « anonyme » pour limiter les agressions des templiers sur ses antennes locales. L’approche discrète en devient d’autant plus intéressante qu’il ne s’agit plus simplement d’éviter d’éveiller l’attention des gardes, mais bien de garder la main sur la ville. On fera donc un recourt fréquent aux armes à distance, où figure un ajout de taille : les bombes.
Les points forts du gameplay
De la grenade fumigène à la mine de proximité, les applications en sont nombreuses, et se révèlent vite indispensables en cours de mission. On pourra d’ailleurs s’armer selon son gout en les fabricants soi-même sur des nombreux établis de la ville. Ces derniers sont accolés aux pigeonniers, ouvrant sur les missions stratégiques héritées de Brotherhood, pour un intérêt double : monter le niveau des compagnons assassins pour les préparer à la gérance d’un repaire et prendre possession d’une ville pour en faire une source de profit (en argent comme en ingrédients).
Malgré ces quelques trouvailles bien senties, les nouveautés ludiques de cet épisode restent malgré tout de l’ordre de la petite couche supplémentaire plutôt que de la révision de fond. Il fallait s’y attendre, la comparaison à la liste de nouveautés de Brotherhood ne joue pas en la faveur de ce dernier épisode, qui n’évacue pas l’impression de tourner en rond sur ses vieilles recettes. Pas forcément gênantes en pratique, les limites techniques de ce quatrième épisode ont tout de même le défaut de rappeler que le temps à manqué pour pousser le moteur graphique, qui bégaye des textures et effets de lumière sans surprises. Force est de l’admettre, la présentation plafonne clairement et semble même parfois en recul lorsque des ralentissements impromptus s’invitent dans les situations les plus chargées en modèles.
Versant plateforme, « on ne change pas une formule qui marche » semble être le mot d’ordre des développeurs, au regard du seul ajout notable : le crochet Ottoman. Caché dans le prolongement du bras, cet outil permet surtout d’accélérer les escalades et de sauter sur de plus longues distances en captant les rebords plus lointains. Rien qui transcende les sensations de jeu ; c’est une fois de plus la ville et son level-design qui s’y attèlent.
Gameplay délicieux cherche cadre de qualité
Marque de fabrique de la série, l’environnement permet au gameplay de s’épanouir totalement, en tant que « puissance de franchissement ». Il faut y voir le décor comme une occasion permanente : l’occasion de l’ivresse d’un déplacement qu’aucun obstacle ne peut entraver. Telle est la source de plaisir d’un Assassin’s Creed encore bien présente dans Revelations, drapée d’une finition impeccable qui précise chaque parcelle de décor d’assez de prises et d’options de jeu pour que l’expérience ne souffre aucune saute de rythme. Soulagement, la ville de Constantinople se montre à la hauteur de ce gameplay d’orfèvre. Divisée en deux parties par un bras de mer, on peut voir la ville comme le mariage élégant des deux influences stylistiques majeures des épisodes précédents – européennes au Nord, orientales au Sud.
Si l’on regrette un temps la disparition d’espaces verts, qui assuraient à Rome une belle variété d’environnements, le dense terrain de jeu de Revelations n’en frappe pas moins par sa grandeur et la diversité de ses atmosphères. Les quêtes nous promènent ainsi de quartiers pauvres en bois moisi aux plus riches – avec leurs mansardes sur collines chapeautées par le palais.
Narration aux commandes
Outre les mémorables cavalcades dans la ville, de nombreuses séquences marquent cet épisode d’une pierre blanche, contrebalançant le manque d’innovation sur le plan du gameplay. Ces phases de jeu, tour à tour ingénieuses, émouvantes ou drôles – cf la mission des troubadours- révèlent de la série une facette jusque là sous-exploitée : sa capacité à lester une phase de gameplay d’un enjeu dramatique. La première des qualités de Revelations en effet, c’est de ne pas manquer à sa promesse de narration : son histoire génère fréquemment des enjeux qui impliquent d’avantage le joueur dans son action – quand bien même le scénario s’avérera finalement assez classique et les révélations du titre, plutôt décevantes.
Conclusion
Il faut bien le reconnaître, Assassin’s Creed Revelations n’est pas un épisode étourdissant de nouveauté ; on le lui pardonne cependant, devant ses vertus ludiques toujours solides. Servi par un level-design de haute volée, le gameplay s’associe cette fois-ci à un effort de narration encore inédit pour la série, occasionnant quelques unes de ses meilleures séquences. Fort de son contenu secondaire très conséquent et des divers équilibrages et ajouts du mode multijoueur, reste un titre qui brille encore de nombreuses facettes, fussent-elles les (beaux) restes de Brotherhood. Note pour Ubisoft : le coup ne marchera qu’une fois.