Les jeux qui nous proposent d’incarner des animaux sont souvent des bacs-à-sable un peu idiots et foutraques, où l’animal en question aurait tout aussi bien pu être autre chose (on pense à Goat Simulator, qui n’a de simulation que le nom). Untitled Goose Game, qui nous fait incarner une oie, prend le parti inverse : c’est non seulement un jeu très ouvragé, où le décor comme l’animation de l’oiseau témoignent d’un souci du détail perfectionniste, mais c’est aussi une vraie expérience « animale » comme on en voit peu dans les jeux-vidéo.
Se sentir « oie »
Cette impression passe d’abord par le gameplay qui reconstruit notre oie jouable en une poignée d’actions élémentaires, servies par des animations franchement irrésistibles : la façon dont elle avance gauchement en se dandinant de la queue, son allure « tête basse » lorsqu’elle se faufile en catimini derrière un humain, le cri sonore qu’elle peut lâcher pour attirer l’attention (où effrayer les bambins), et sa manière bravache de battre des ailes pour se faire plus impressionnante sont autant d’outils qui nous plongent d’emblée dans des sensations animales.
Les objectifs ludiques prolongent cette animalisation, structurant la progression autour d’une liste de tâches qui correspondent parfaitement à l’idée que l’on se fait des obsessions chapardeuses d’une oie – dont le parcours commence devant sa cache secrète, où gisent ces précédentes trouvailles -. De notre point de vue d’humain, ces marottes, que l’on imagine éminemment sérieuses pour l’oiseau, sont autant de mauvais tours à jouer aux habitants du village qui nous sert de décor, bêtises qui prendront la forme de gags burlesques – tel que « faire tomber un pot sur la tête du tenancier du pub », ou « déchausser l’homme qui lit son journal » -.
Game-design élégant
Chacune de ces tâches est une petite énigme en soi, parfois simplissime (comme un simple vol de clé), parfois plus élaborée : on commencera typiquement par observer les comportements des nos cibles, jusqu’à saisir une fenêtre d’opportunité pour accomplir notre méfait ou, à défaut, se créer notre propre occasion. Comment faire en sorte que quelqu’un rachète ses affaires, par exemple ? En l’occurrence, on pourra tirer sur le lacet d’un garçon jouant avec son avion ; ce dernier se baissant pour se relacer, on en profitera pour lui voler son jouet et le déposer près de la vendeuse, qui se l’appropriera et forcera notre victime à le repayer. Les objectifs les plus amusants mettent en jeu cette notion de timing et d’un soupçon d’infiltration, dans des espaces construits eux-aussi pour fonctionner à hauteur d’oie, comme ce bar dont le dessous des tables sont des endroits tout trouvés pour échapper au regard de nos poursuivants.
Il faut souligner l’élégance du design visuel et sonore, qui tient à quelques notes de piano posant une mélodie légère, à ce monde de jeu figuré par de simples aplats de couleurs, à cette animation, encore, qui non contente d’être réaliste (s’agissant de notre personnage), isole les petits détails qui font de l’oie un personnage incroyablement expressif : par sa manière de gigoter sa queue d’excitation, ou encore de porter son cou élastique, de le dresser ou de l’étirer d’une façon qui trahit son agacement ou son impatience. Le jeu soigne aussi ses angles de caméras, intentionnés pour accentuer ici le gag, là la tension d’une chasse par de subtils effets de recadrages. L’élégance du game-design s’insinue jusque dans sa conclusion, par un grand rembobinage de son monde lors d’un dernier larcin – une belle cloche dorée, évidemment – qui nous fait tout retraverser sur un mode précipité et bruyant, entravant notre folle course de quelques énigmes à résoudre en panique pour finir par boucler la boucle à notre point de départ.