Critique publiée par Benoît le 09/03/2014 sur Apps-and-play.com, site d’actualités et de tests sur les jeux mobiles en activité en 2014 et 2015.
Knock-Knock est l’une des expériences vidéo-ludiques les plus étranges qu’il nous ait été donné de jouer. Il côtoie certes le point ‘n clic en scrolling 2D et le survival horror, mais en défie constamment les conventions : l’aborder comme un jeu classique, c’est s’assurer de passer à côté de ce qui le rend si unique. Certains le trouveront terriblement ennuyeux, prétentieusement arty, trop limité, et ne seront pas du tout d’accord avec notre note. Ceux qui y seront sensibles, en revanche, en feront peut-être l’un de leurs jeux de l’année.
Les fantômes dans le placard
Un petit personnage hirsute fait les cents pas dans sa maison biscornue, comme un lion dans sa cage : le regard charbonneux, l’oeil exorbité, il ne trouve pas le sommeil. Les portes claques, les parquets grincent, le vent bruisse de chuchotements lugubres. Notre veilleur de nuit en est sûr : il y a des « présences » dans sa maison. Ainsi se réveille-t-il, encore et encore, obsédé par l’idée de vérifier que tout est en ordre chez lui… et ce qu’il découvre ne fait que l’inquiéter un peu plus. Du mobilier apparaît par magie, l’ordre des pièces n’est plus le même, son monde « solide » et rationnel a cédé la place aux puissances insidieuses de l’imaginaire.
Reprenant ce principe du monde halluciné, la progression en trois phase converge vers un objectif : faire défiler le temps jusqu’à l’aube pour échapper à la folie, en activant les horloges qui apparaissent au hasard dans la maison. Il y a d’abord une première phase d’exploration posée, puis une seconde où l’on s’aventure dans les bois, pour tomber sur une version « cauchemardesque » de la bâtisse, envahie de spectres sans têtes, de fantômes pleureurs et d’yeux gigantesques. A-t-on plongé dans le cauchemar, dans le délire insomniaque ? On ne le saura jamais : Knock-Knock se refuse à tout recul scénaristique, à toute explication rationnelle. La perception de son personnage fait loi, et ses commentaires troublants sont les seuls points d’accroche narrative – avec les pages de son journal intime éparpillées dans le décor.
Apprentissage par l’expérience
Lors de ces phases d’explorations, des créatures spectrales s’invitent dans la maison. Un effet de zoom nous indique la pièce d’où ils surgissent. Il faudra alors s’y rendre au plus vite pour colmater la faille en allumant la lumière, tout en esquivant les fantômes qui se précipitent sur nous. S’ils nous attrapent, le compteur de temps recule, quand la séquence ne recommence pas tout simplement du début.
En l’absence de tutoriel et d’objectifs, on ne progresse qu’à force d’expérimentation, en décryptant les divers signaux que nous envoie le jeu- chuchotements, pleurs, happening visuels – indiquant une intrusion menaçante… Mais laquelle ? Le jeu brouille constamment les pistes : un indice ne pointera pas toujours vers le même phénomène, d’où vient l’impression que l’on ne pourra jamais « maîtriser » les mécanismes et tomber dans la routine.
Défauts et grandeurs
Ces constantes ruptures de logique tapent juste : elles donnent l’impression d’un jeu « fou », comme issu des tréfonds de l’inconscient, et font sourdre une angoisse lancinante… qui pourra aussi repousser. Les joueurs tatillons risquent en outre de bloquer sur les limites du gameplay : on pourra par exemple court-circuiter la tension en effectuant des va-et-vient sur les échelles pour « jouer la montre ». Il arrive également que les spectres apparaissent directement sur nous, sans nous laisser le temps de réagir. Ces « coquilles » du game-design sont le talon d’Achille de Knock-Knock, expérience puissante mais fragile qui ne fonctionne que si l’on « joue son jeu » et que l’on sait passer outre ses faiblesses.
Pour notre part, le soufflet n’est jamais retombé. En dépit de ses limites, Knock-Knock n’a eu de cesse de nous vriller les nerfs. On a longtemps butté sur le « pourquoi » de cette efficacité, avant de se rendre compte d’une chose : tout dans le jeu s’acharne à instiller l’idée que les fantômes apparaissent par notre faute, qu’ils naissent de notre peur et s’en nourrissent. Rester figé sur place, par exemple, déclenchera immanquablement l’arrivée d’un fantôme ; et se cacher derrière un meuble fera reculer le compteur de temps : bref, le jeu sanctionne les joueurs flippés d’un éternel recommencement. Pour faire défiler les toquantes et atteindre l’aube, une seule parade : prendre son courage à deux mains, être constamment en mouvement, affronter la source de son angoisse (les bruissements dans le noir, les apparitions elles-mêmes). Une constante exhortation au courage qui fait de Knock-Knock un survival horror d’une grande pureté, où l’action retrouve son rôle le plus noble : celui d’exorciser la peur.
Conclusion
Répétitif et opaque, Knock-Knock fait partie de ces jeux clivants à l’extrême. Nous l’avons trouvé brillant, ce qui ne veut pas dire que vous y trouverez votre compte. Ceux qui l’aimeront comme nous seront en revanche captivé par sa façon de jouer sur les peurs irrationnelles. Knock Knock nous plonge dans le monde terrifiant, un monde où les choses terribles auxquelles on songe deviennent réalité, s’infiltrant au cœur de notre foyer pour nous avaler tout entier ; monde où chacun peut néanmoins briser le cercle vicieux de l’angoisse, si tant est qu’il en trouve le courage. Dans la peur comme dans la bravoure, l’expérience est mémorable, bien que de l’ordre du « ça passe ou ça casse », comme l’indique le 57 sur Metacritic… moyenne guère surprenante tant Knock-Knock semble fait de la matière même des mauvais rêves