Pour beaucoup, Hollow Knight est une référence du Metroidvania voire le nouveau héraut de son genre, et cela peut s’entendre : bon sur tous les plans « mécaniques », il est aussi satisfaisant, juste est précis dans les phases de plateforme que dans les combats. Ces deux pans forment un patchwork d’épreuves tissés d’un même fil, une même approche exigeante de l’action exhortant le joueur à hausser constamment son niveau de jeu et à s’impliquer totalement dans sa progression. Prise comme un travail d’artisans du game-design, la copie est à peu près infaillible et dénote d’une grande maîtrise des codes du genre action-plateforme en 2D. Et pourtant nos satisfactions se sont vues limitées par une difficulté dont on peine à dire si elle est excessive ou bien dosée à l’extrême limite de l’acceptable. Notre avis sur Hollow Knight se situe ainsi dans cette zone grise, entre un constat factuel de ses grandes qualités et un engouement modéré par le stress de ses moments les plus rudes, jamais bien loin du déplaisir.
Dès les premiers instants, le jeu s’annonce sous des auspices contraignants : le personnage semble peser trop lourd, obligeant à accentuer ses trajectoires par une pression maintenue sur la touche de saut pour l’empêcher de retomber immédiatement comme une brique. De cette lourdeur, couplée à l’impossibilité de sauter une fois en l’air, vient l’impression d’être très maladroit, de rater tous ses sauts, de mal « sentir » les déplacements. À la longue, cette impression disparaît : on finit par éprouver cette pesanteur non comme un choix de design un peu lourdingue, mais comme le moyen d’une pratique très nuancée du saut dosé, qui permet in fine de réaliser l’exact trajet que l’on veut, à force de pratique. Hollow Knight ne deviendra toutefois jamais le jeu d’un déplacement jubilatoire et tout puissant, à l’inverse des Ori bâtis sur le plaisir du mouvement. Ici, le déplacement reste un défi permanent, volontairement pétri de contraintes et d’empêchements avec lesquels il faut sans cesse composer.
Hollow Knight ne se vit pas comme une montée en puissance, comme une envolée progressive, mais comme une suite d’épreuves minutieuses, éprouvantes de bout en bout : dans la plateforme comme dans les combats, quelque soit notre degré d’avancement, il nous maintient sous pression par des pics de difficultés qu’aucune amélioration (de la vie, de la mana, de notre lame) ne viendra adoucir totalement. Versant « plateforme », ses parcours d’obstacles s’appuient sur des galeries bardées de pics, traversables uniquement par une série de sauts millimétrés qui n’admettent presque pas l’erreur. Versant « action », ses boss installent une exigeante rythmique faite d’attaques et d’esquive, où le sens du timing et la réaction-réflexe se révèlent essentiels dès les premières rencontres. La plupart des combats nous forment par l’échec, et requièrent un entrainement laborieux passant par de nombreux essais et beaucoup de patience. Et si les meilleurs boss (Dung Defender, Hollow Knight, les Mantis Lords…) récompensent nos efforts de passe d’armes jubilatoires, les affrontements les moins réglos (il y en a) peuvent au contraire virer au calvaire et risquer de faire dérailler une partie : les Veilleurs ont ainsi failli nous décourager définitivement, leurs rebonds aléatoires introduisant un facteur « chance » à la limite du supportable.
Fort heureusement, dans ces moments de blocage, l’ouverture des niveaux peut offrir un recours salvateur : il y a presque toujours une autre voie disponible, un point de fuite en cas d’épreuve trop frustrante pour faire ses armes ailleurs. Grâce à cette ouverture sans fléchage, chaque nouvelle route se vit comme une aventure hors des sentiers battus, où rien n’indique que l’on se trouve sur un axe majeur ou un chemin de traverse, dans une zone trop compliquée ou à notre portée. Le design visuel ne prémâchant jamais ces infos, il n’y a pas d’autre solution que de les glaner par soi-même, en observant les alentours et en tentant un timide passage, pas à pas. Certains y verront le terreau de moments fabuleusement immersifs. D’autres se sentiront submergés par la frustration des premières heures, devant la difficulté ne serait-ce que de se repérer : le vendeur de carte n’étant pas toujours simple à trouver, on avancera souvent à l’aveugle avec le sens de l’orientation comme seule boussole. Sur nos premières heures à nous, nous avons oscillé entre ces deux réactions : si nous apprécions cette approche sans main tendue comme un moyen efficace d’intensifier chaque moment de jeu, nous n’en avons pas moins maudit les moments d’enlisement où tous les systèmes punitifs (niveaux labyrinthiques sans carte, ressources perdues suite à deux morts successives, checkpoints trop espacés) semblaient se conjuguer en boucles infernales.
La traversée de Hollow Knight fait éprouver la difficulté comme une expérience « limite », dont peut sortir le meilleur comme le pire : le meilleur, pour les moments de dépassement de soi dans les challenges les mieux réglés, où l’on voit toujours un espace d’amélioration possible ; le pire, pour les autres moments, heureusement rares, ressentis comme trop exigeants ou aléatoires, compliqués par l’éloignement des bancs de sauvegarde qui transforme certains des plus gros challenges en corvées quasi-insurmontables plus que comme occasion de se dépasser.
On insiste sur la difficulté, mais il faut aussi reconnaître la cohérence de son monde, qui fait se sentir partout dans un ensemble unifié. Des personnages aux décors, les dessins sont propres et nets, parfois même joliment ouvragés comme dans la Cité des Larmes tout en châteaux battus par la pluie, ou dans les buissonnants Vertchemins ; on déplorera juste leur homogénéité de couleurs et de traits, suivant un principe de ligne claire dont la simplicité témoigne moins d’une intention esthétique marquée que d’un souci de rendement : de l’aveu de l’artiste de la Team Cherry, ce parti pris visuel était avant tout le moyen le plus simple de pondre et d’animer de nombreux sprites en un temps minimal – animation qui est d’ailleurs l’un de ses points forts, et un modèle de lisibilité -. Le jeu, vaste et bien rempli, a été bouclé en deux ans, soit tout l’inverse d’un Owl Boy (même genre, autre studio, et jeu que l’on adore) qui se perdait dans le labyrinthe d’un perfectionnisme formel durant une décennie.
Loin de tout lyrisme visuel, la Team Cherry a préféré conformer son style à des standards sans folie, suivant un objectif plus sèchement ludique ; son efficacité lui a donné raison, au dépend d’une direction artistique homogène mais un peu fade. Si ce n’est pas pour l’attrait de son monde « graphique », qu’est-ce donc qui nous a motivé à avancer dans Hollow Knight ? Sans doute les défis qu’il n’a cessé de nous lancer, et qui malgré leur sévérité ont été l’occasion d’élever notre pratique à un degré de précision et de justesse que l’on n’exige que rarement des joueurs. Même après les pires déconvenues, chaque réussite relançait notre envie de nous frotter aux prochaines épreuves, les mains moites et les dents serrées. C’est peut-être bien dans ce sentiment ambivalent , dans ce dialogue tendu entre échec et réussite que réside l’épineuse beauté de Hollow Knight : il est de ces rares jeux concevant leur challenge comme un étroit chemin de crête, jamais aussi marquants que lorsqu’ils flirtent avec le risque de chute.