Critique de Ghost of a Tale : un monde aimé (et la différence que cela fait)

Au début de Ghost of a Tale, on se réveille sous les traits d’une petite souris, dans la prison d’un fortin insulaire au milieu de nulle part. Pourquoi est-on emprisonné ? Où se trouve notre femme, qui voyageait avec nous ? A nous de le découvrir au long d’une aventure dense et prenante, qui commence par notre évasion permise par un mystérieux bienfaiteur. Chemin-faisant, on rencontrera une grenouille pirate, le chef de la prison, d’autres prisonnières goguenardes ou encore un rat renégat qui, tous, nous envoient chercher des objets sur le mode du jeu de piste, avec pour seuls indices une description de leur emplacement. Pour progresser, il nous faudra fureter partout en cartographiant mentalement nos parcours, en l’absence de l’habituel téléguidage au GPS qui nous oblige à prêter attention à ce qui nous entoure et renforce l’immersion dans ce beau monde fourmillant de détails.

Solid Mouse

Évidemment, le jeu nous mettra des bâtons dans les roues : en tant que petite souris face à de grands rats en armure, l’approche préférentielle sera la discrétion, via un mode « infiltré » que l’on déclenche par simple pression sur une touche. Il ne sera toutefois pas rare d’être repéré et pris en chasse, la priorité étant alors de sortir du champs de vision de l’ennemi en entamant un sprint jusqu’au premier meuble ou coffre venu afin de s’y cacher.

Cette mécanique de l’infiltration fait son petit effet pendant la première heure, où l’on se sent encore démuni et dangereusement confiné tant que l’on n’a pas sorti la truffe des premiers couloirs – moment récompensé par la découverte de la belle cour du château, promesse d’une ouverture tous azimut. Rapidement en effet, la lenteur des ennemis devient plus apparente, et l’on se met à user et abuser du sprint, y compris pour passer entre leurs pattes : bien que limitée par une jauge d’endurance, la course se recharge dès que l’on revient à la marche, ce qui permet de fuir presque sans contrainte en alternant les allures. On finit par ne plus jouer le jeu de l’infiltration et par court-circuiter toutes les approches discrètes en forçant le passage, ce qui au final n’est pas bien grave.

Fraîcheur d’un monde vraiment aimé

Reste en effet l’essentiel : Ghost of a Tale est avant tout un monde aussi beau que ludique, où tout ce qui s’offre au regard promet d’être explorable (c’est le cas), des plus hautes tours à la forêt lointaine. A la manière d’un Dark Souls, dont le level-design sert ici de matrice, l’ensemble forme un entrelacs complexe mais cohérent de couloirs, de pièces et d’extérieurs connectés par de nombreux chemins et raccourcis qu’il est plaisant de conquérir au fil de sa progression. Fonctionnel sur le plan narratif (à chaque lieu sa raison d’être dans la petite vie du château), le décor est aussi remarquablement composé sur le plan esthétique, et c’est ce qui séduit le plus dans Ghost of Tale.

Il est même permis de penser que son gameplay et ses objectifs ludiques servent simplement de prétextes à son réel objectif, qui serait d’offrir un beau monde à explorer, gorgé de récits cachés dans ses moindres recoins : dans les journaux intimes et paroles de chansons trouvés au détour de l’exploration, évoquant un vaste arrière-monde que l’on ne fait qu’effleurer, mais aussi, plus visuellement, dans ses animations, ses modèles de personnages, ses textures. A mi-chemin entre réalisme et conte sombre à la Don Bluth (on pense souvent au beau film d’animation Brisby et le Secret de NIMH), la narration visuelle atteint des sommets dans ce jeu-monde où rien n’est laissé au hasard, où tout semble voulu et aimé, des personnages finement modélisés et texturés, aux animations pleines d’énergie et de caractère, en passant par les décors crépitant de détails et d’atmosphère.

Le ciment de cet ensemble organique ne pouvait être qu’une grande affection, celle d’un créateur unique fortement attaché à son monde, à ses personnage, à ses histoires patiemment mûries et mises en forme : et il se trouve que, dans l’un de ces tours prodigieux que recèle la scène indépendante de notre média, Ghost of a Tale est principalement l’œuvre d’un seul homme, un certain Lionel Gallat, ancien animateur-en-chef chez Illumination (à qui l’on doit les Moi, moche et méchant), devenu pour ce projet de cœur game designer aux multiples talents : d’animateur bien sûr, mais aussi de graphiste (tout les éléments visuels sont dessinés, peints ou texturés avec goût), de conteur (tous les textes et dialogues sont un plaisir à lire) et de concepteur de monde (le level-design n’a pas a pâlir face à celui des Souls).

En découle un monde de jeu d’une cohérence rare pour un média auquel travaillent bien souvent de grosses équipes soumises à des processus lourds qui diluent les intentions initiales, là où dans Ghost of a Tale chaque personnage et objet semble aussi précieux qu’un jouet confectionné avec le plus grand soin par un maître artisan. Dans le créneau du jeu d’aventure en 3D, monopolisé par les grosses productions calibrées pour le succès, il est vivifiant de circuler dans un jeu certes imparfait, mais profondément désiré par son concepteur et porté par un grand talent, plutôt que dans un produit modelé par les seules exigences de réussite commerciale.

+
  • Un monde bien construit, passionnant à explorer
  • Narration visuelle cohérente, portée par un grand talent
  • Personnages et histoires attachantes
-
  • Approche infiltrée facile à contourner
8
Écrit par
Administrateur du site Etoile et champignon. Passionné par les jeux vidéo.

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