Critique écrite en mars 2010.
Devenus de plus en plus spectaculaires depuis le 7ème épisode sorti sur Playstation en 1997 (épisode de référence pour grand nombre de joueurs, dont nous sommes), les Final Fantasy se succèdent depuis sous différentes directions artistiques, avec un niveau de production toujours luxueux mais une qualité inégale. Et pour cause, le créateur historique de la série Hironobu Sakaguchi passe le relai à Yashinori Kitase sur le septième épisode, définissant dans le mouvement les deux facettes de la série après 1997 : recherche sur l’articulation entre la narration et le gameplay d’une part (le pôle solide et ambitieux de Sakaguchi) ; et d’autre part, avancée du côté du pur spectacle de formes, de design et de décors (le pôle « surfacier » de Kitase et de Tetsuya Nomura, son créateur de personnage attitré).
C’est donc en toute logique que, sous les rènes de Kitase, la série n’a eue de cesse de pencher vers la surface, contre le désir de narration qui l’animait auparavant. Après le petit miracle du douzième épisode, mené de front par Yasumi Matsuno, autre tête chercheuse dans le champ de la narration vidéoludique, le 13ème épisode signait le retour de l’équipe de Kitase/Nomura sur la série, retour en grandes pompes au « visuel spectaculaire »; un retour qui, bien que paré de ses plus beaux atours, ressemble paradoxalement à un triste repli après les audaces du précédent épisode.
Histoire sans intérêt
La première chose qui frappe lorsque l’on joue à Final Fantasy XIII, c’est que l’histoire est difficile à suivre. Après bon nombre de scènes cinématiques sur toute la première partie du jeu, il nous a fallu consulter le résumé pour comprendre la progression narrative. Etrange option, d’ailleurs, que ce résumé permanent par épisode qui semble là pour pallier à l’incapacité du jeu à porter le récit par lui-même. L’histoire du jeu progresse à 99% lors des séquences cinématiques, comme dans bon nombre de RPG japonais. Celles-ci donnent logiquement l’indice le plus évident de l’étendue du problème au cœur de la conduite du récit dans FF XIII. D’emblée, on y constate un décalage systématique entre les intentions supposées des personnages et leur comportement visible. Tout sonne faux, des réactions des personnages (faciales/ dialogue), à l’artificialité des ressorts narratifs. Aucune situation n’est prise au sérieux par le récit : à cet égard, FFXIII c’est FFX en pire. On trouvait à l’époque l’histoire d’amour entre les héros de FFX bien naze ; on la regrette presque ici devant les motivations nébuleuses de héros prétendument « adultes et matures ». A l’inverse, la réussite est incontestable sur le versant visuel, spectaculaire autant que poseur. Face à cette débauche d’effets graphiques, le désintérêt pour les éléments de narration passe pour pur positionnement stratégique. Nous ne parlerons pas davantage des thèmes qui traversent l’histoire (liberté vs. Destin, angoisse existentielle), tant la narration demeure indigente et superficielle du début à la fin.
Du côté des séquences jouables, pendant une très longue première partie qui ressemble à un tutorial géant, le jeu use sérieusement la patience. Dans la lignée du level design de Final Fantasy X, les 10 premiers chapitres ont pour décor une longue enfilade de couloirs dont le seul élément de changement est la « tapisserie ». Mais contrairement à son prédécesseur qui alternait entre les intérieurs racés de temples séculaires et les extérieurs de nature luxuriante, Final Fantasy XIII n’est pas bien généreux en variété, et fait se ressembler tous les endroits visités sous la figure d’un hub rempli d’ennemis distribués en « pack ». Le moment de la découverte d’un nouveau décor est un partage d’émotions qui bascule toujours dans une sorte de déception. Dans un premier temps, il y a forcément la surprise face au travail titanesque des concepteurs graphiques du décor. Certains sont même vraiment saisissants de profusion et de profondeur, l’approche de la lumière est raffinée, la maîtrise de l’Unreal Engine impressionne. Maintenant, ce qui se passe effectivement pad en main est beaucoup moins marquant. Aux enfilades de couloirs correspond la succession des combats pendant lesquels on a plus que le temps d’assimiler le gameplay bridé pendant les 10 premiers chapitres. Parcourir ce monde-couloir parait vite long et laborieux, tant les décors, les ennemis et les combats semblent avoir été seulement disposés pour gonfler la durée de vie de façon artificielle.
Les combats donnent l’impression d’être régulièrement plus long que dans les précédents épisodes, sans raison apparente sur le plan de la difficulté et sans incidence sur elle, et l’orientation « action » illustrée par les animations et la caméra dynamique pendant les affrontements est comme annulée par la lenteur générale de la progression, hachée par la morne succession d’une même situation de combat. Et le fait de voir les ennemis posés directement dans le décor (contre les vieux modes de représentations des anciens rpg japonais, ou les monstres n’étaient pas modélisés pendant les phases d’exploration) est ici plus désespérant qu’autre chose : on peut maintenant, dès le premier coup d’œil, prendre la mesure de l’ennui qui nous attend sur le niveau constellé de monstres à perte de vue. Se profile ici l’autre positionnement stratégique majeur de ce Final Fantasy: au lieu de l’exploration variée des précédents épisodes, le jeu mise toute sa durée de vie sur la succession des combats. Conséquence, le décor n’a jamais semblé aussi « séparé » du reste et artificiel, aussi peu vivant et authentique, aussi peu justifié par quoi que ce soit. Encore un rabattement sur le spectaculaire de surface, où le décor n’est plus conçu comme lieu de l’action ni comme élément de la narration à part entière.
Un jeu « musée »
Final Fantasy XIII est également un jeu très linéaire. Mais que cela soit dit, la linéarité en soi n’est pas un problème. Dans un jeu vidéo elle peut prendre de nombreuses formes, certaines fertiles, d’autres moins. On dit qu’un jeu est linéaire lorsqu’il n’admet qu’une voie de progression, et ne donne pas le choix entre plusieurs chemins. Cela peut être une très bonne chose : si un jeu veut porter un récit précis et véhiculer des émotions et des visions déterminées, il lui faut nécessairement réduire les options de variation, et faire passer le joueur par des « points clés » narratifs obligatoires, des goulots d’étranglement de la narration. Au sein de cette structure linéaire générale, rien n’empêche que la chair du gameplay propose divers dévoiements, vacances et variations du chemin. Au sein d’une structure narrative donnée (monde ouvert ou chemin linéaire), tous les contenus sont possibles, et c’est au game designer de développer des articulations entre les moments de liberté et les moments de strict contrôle qui seront propre à chaque projet.
Dans FFXIII, la linéarité est totale, et le contrôle absolu. Dérive du jeu à grand spectacle : pour que le show advienne à son plus fort potentiel de spectaculaire, le contrôle par les développeurs doit être maximal. Conséquence de cette manie du contrôle en combat : on refuse au joueur une participation « directe » à l’action, à la caméra qui suit le personnage en phase d’exploration. Lorsque l’on essaye de diriger le champ de vision vers tel ou tel point du décor, celle-ci semble s’obstiner à « recadrer » après le joueur dans un mouvement lent et insidieux genre « pas vu pas pris ». Cette liberté ôtée jusque dans la fausse gestion de la caméra par le joueur sonne comme un rappel d’autorité constant.
L’exception du chapitre 11
Un petit miracle se produit cependant au chapitre 11, qui fait presque figure de jeu dans le jeu tant ses qualités le détachent du reste. Dès l’arrivée sur Pulse, le monde mystérieux promis depuis le départ, les galeries de ravins-couloirs s’ouvrent sur des clairières, des bifurcations ou carrefours, de magnifiques points de vues et surtout une plaine immense parsemée de lacs et de promontoires rocheux, où s’esbaudit une faune locale constituée d’un bestiaire au design parfois très inspiré, parfois gigantesque à en donner le vertige. Dans cette plaine magnifique ceinte d’un rempart de falaises et de précipices en aplomb sur le vide, commence une quête annexe qui reprend les missions de chasse de Final Fantasy XII et le principe des Monster Hunter, entrainant le joueur à la recherche de créatures à débusquer puis combattre dans un challenge à la difficulté progressive.
Ce faisant, le joueur se retrouve plongé dans une logique d’exploration, de repérage dans l’espace et d’affinement de sa pratique du gameplay, laissant entrevoir le potentiel gâché de ce Final Fantasy : saisissant sens des échelles (qui fait se dire que, pour la première fois depuis le début du jeu, les capacités « next-gen » sont utilisées à bon escient, c’est-à-dire pour générer des effet de sidération qui seraient impossible sans elles), délice de la découverte « par soi-même » de panoramas magnifiques au détour d’une chevauchée de chocobo, exaltation de la chasse et de la maîtrise d’un gameplay qui délivre enfin son potentiel de dynamisme et de finesse. En effet, le début de ce chapitre et de cette longue quête hors des sentiers battus du scénario est également le moment de la fin de la phase du tutorial (!!) et du déblocage de tous les aspects du gameplay, moment qu’un RPG aborde normalement bien avant la 10ème heure de jeu. Il est regrettable que cette libération des carcans que le jeu s’était imposé arrive si tard, et ne soit pas au principe même de l’expérience, mais tout au moins, cela donne à voir ce que cet épisode aurait pu être s’il s’était « écouté ». On retiendra tout de même ce souffle épique qui nous a saisi lors des embardées aventureuses auxquelles invite ce chapitre, et qui seul a suffi à sauver du gouffre du mauvais souvenir ces quelques quarante-cinq heures de jeu. Mais on attend toujours de pied ferme le RPG japonais qui saura utiliser le bel écrin des consoles HD pour incarner ses intentions d’aventure épique et ses désirs de narration comme il se doit, c’est-à-dire avec goût et conscience.