Dès les premières minutes, quand on a compris qu’on pouvait conduire une pelleteuse, la faire foncer dans une maison pour y faire un trou, utiliser son bras pour creuser les murs comme du beurre, le gameplay de Teardown nous a mis dans une grande excitation, comme celle de l’enfant qui s’autorise enfin à casser son château Lego ; une excitation liéée au pouvoir de tout détruire, de même nature que l’action de construire « à même le monde » d’un Minecraft, sauf qu’ici, à l’inverse du jeu de Mojang, tout est déjà construit, et n’existe que pour être pulvérisé en cascades de briquettes, glissant les unes sur les autres sous l’effet de nos coups.
Jouissif à pratiquer, ce gameplay s’aborde comme un nouveau mode d’exploration de la matière, dévoilant des résistances diverses et ouvrant sur différentes stratégies de casse selon les situations – à la masse pour les murs fins, aux explosifs pour le métal, et ainsi de suite -. Dans son mode campagne (celui sur lequel on a passé le plus de temps), le jeu est à son meilleur quand il se concentre sur cette exploration matérielle, en donnant pour seul objectif la destruction d’un bâtiment : on a par exemple adoré cette demi-heure passée à travailler une haute tour de brique à la solidité redoutable, d’abord à la bombe pour miner ses fondations, la faisant se pencher sur le hangar d’à côté façon « Pise », puis au volant d’une benne pour grignoter l’un de ses murs jusqu’à la faire tomber totalement. Ces moments en prise directe avec la matière soulignent ce en quoi Teardown excelle : faire appliquer une destruction méthodique, réfléchie, récompensées par le spectacle jamais lassant de chutes et de morcellements de pans de décor en atomes de matière (ces fameuses petites briques élémentaires, soumises à la gravité).
On a hélas trouvé ce cœur de jeu plus fort que le game-design, qui s’essouffle à en chercher des variantes et se rabat trop souvent sur des missions de vol d’objets éparpillés sur la map, conclues par des phases en temps compté. Le principe en est pourtant stimulant, au moins sur la première moitié de la campagne : il fait de la destruction le moyen d’ouvrir des chemins (dans des murs, sur des toits, à travers des grillages…), pour tailler l’itinéraire le plus rapide entre les différents lieux de vol, en préparation d’un speedrun improvisé. On peut le voir comme une forme de level-design in situ, articulant une gestion fine de l’espace de jeu et la course de vitesse qu’elle prépare, qui se jouera comme une session de « parkour » en vue subjective.
Si le principe séduit au départ, on finit toutefois par s’en lasser à mesure que les mêmes solutions s’imposent quelque soit la mission : on troue des murs aux bons endroits, on pose quelques planches servant de rampes, on déblaye le parcours des véhicules pour empêcher le patinage des roues, en vue d’une optimisation à la seconde près, bis repetita. A ces phases laborieuses s’ajoute une difficulté trop pointue sur la deuxième moitié (pour nous du moins), qui nous a fait frôler le découragement.
À tout miser sur ces missions de vol, au détriment de celles de pure destruction (qu’il est toujours possible d’accomplir en mode « libre », mais ce n’est pas pareil…), le jeu manque selon nous l’occasion d’aller plus franchement dans le sens naturel de son gameplay, sur un mode de plaisir « gratuit » et sans pression. On aurait adoré pouvoir réduire en poussière d’autres structures, plus grandes ou moins communes, comme un gratte-ciel, un pont en bois ou d’autres monuments divers et variés, qu’il aurait été jouissif de voir s’effondrer en morceaux, et qui auraient pu donner lieu à l’étude préalable de leurs faiblesses, par la consultation de leur plan ou leur observation minutieuse, donnant lieu à une sorte d’énigme préalable. Bref, on aurait adoré que Teardown soit davantage un mix de destruction détendue et de puzzle-game, assorti d’un plus grand nombre de niveaux que les cinq proposés, certes intéressants à découvrir mais dont on finit par avoir fait le tour.
D’une certaine manière, nos premières sensations de Teardown nous ont tellement plu qu’elles nous ont fait rêver d’un autre Teardown, bâti sur les mêmes forces ludiques et qui les amenèrait plus loin. En l’état, celui d’une-prérelease plus qu’honorable qui pourra encore évoluer d’ici la sortie « officielle », il faut accepter le jeu pour ce qu’il est, dans les limites d’un développement déjà très méritant par le seul Dennis Gustafsson, pour qui le choix de recycler les niveaux a sans doute été d’ordre pragmatique. Il faut dire, pour finir, que nos regrets sont à la mesure de l’énorme plaisir ressenti à découvrir son gameplay, qui nous a mis comme jamais les « mains » dans de la matière virtuelle. Pour ce plaisir seul, et la petite prouesse technique qui la tient, Teardown mérite très largement le détour.