Critique publiée par Benoît le 06/01/2015 sur Apps-and-play.com, site d’actualités et de tests sur les jeux mobiles en activité en 2014 et 2015.
Sortie en plein décembre 2014, Shadowrun Returns est sans doute la dernière perle vidéo-ludique sortie l’année passée : spin-off au reboot original (qu’il n’est pas nécessaire de posséder pour profiter de cet add-on), le dernier titre de Harebrained Schemes s’avère à la fois plus riche en choix narratifs et en missions secondaires, améliore son système de sauvegarde de façon salutaire et se dote de personnages secondaires aussi mystérieux qu’intéressants à découvrir, au fil des discussions. Un jeu meilleur en tout point, pour le dire simplement :
D&D en mode cyberpunk
Pour commencer, résumons son histoire : sur une Terre futuriste, les hommes côtoient tant bien que mal de nouvelles races fantasy fraîchement révélées – nains, elfes, orcs et trolls –, le tout dans un contexte de magie et de progrès technologique (« le Seigneur des Anneaux » rencontre « Matrix »). Sitôt recruté par des Shadowrunners (les missionnaires de ce monde-là), notre personnage se retrouve propulsé, à la suite de fâcheux événements, à la tête de sa nouvelle équipe, devant responsable de leurs missions : à lui de choisir s’il veut jouer les héros des bas-quartiers ou risquer la compromission auprès d’organisations de l’ombre, tout en apprenant à connaître ses équiper et en progressant dans l’intrigue centrale, une histoire de dragon sommeillant dans les tréfonds d’un Berlin aux mains des gangs.
De grosses ficelles, certes, mais dont les scénaristes se jouent avec une affection réelle pour leurs influences « pop » (la S.F., le polar noir, la fantasy débridée), et un certain talent « d’ambianceur », trait que Dragonfall partage avec les productions Bioware et Obsidian d’il y a vingt ans. Autre élément réjouissant, les seconds rôles – nos équipiers – se révèle étonnamment intéressants au fil des discussions à choix multiples, dont l’enjeu est souvent de parvenir à « percer leur carapace » et d’obtenir leur affection. Chacun d’entre eux tient en effet de l’énigme, énigme qui se dissipe sur la durée un peu comme dans un Mass Effect où les entre-missions sont le moment délicieux du « lien social », de l’enquête sur le passé de nos alliés.
Il y a d’abord cette jeune guerrière au passé ultra-trouble – que l’on découvre un peu plus lors d’une quête passionnante au fond des bois – ; personnage atone et vide de sentiments au départ, dont on essaie de réactiver l’humanité. Il y a ensuite ce vieux punk à tatouage, musicien devenu shaman/invocateur, férocement anti-raciste ; puis cette géante-soldate à l’esprit carré et rigide à l’extrême, qui nous accueille initialement avec le plus grand mépris : à nous de leur prouver notre valeur et notre grandeur d’âme, bel enjeu ludique qui s’infuse dans les choix dialogués.
Alors, certes, on suppute que le cheminement auprès d’eux reste assez linéaire, et que les choix sont un poil illusoires, mais tout de même : l’illusion, justement, fonctionne du point de vue de l’ambiance « rôliste » et confère à l’aventure une couleur affective particulière. On avance bientôt dans le jeu pour le plaisir d’ »être en équipe », de goûter les subtiles tensions et rapprochements entre les personnages et notre héros, de tester leur réactions par les dialogues.
Un esprit roliste enthousiasmant
Appréciable également, la structure du jeu fonctionne sur le modèle d’un arbre dont la quête principale serait le tronc, débloquant à chaque « nœud narratif » un lot de quêtes secondaires impulsant un tempo plaisant, tout en bifurcations narratives. Très scénarisées, ces missions annexes vont de l’objectif « pacifique (dialogues, infiltrations, finauderie – on pense à cette quête d’espionnage « chez les riches »), au pur bourrinisme frontal ; mais quelque soit l’objectif, toutes les quêtes, ou presque, brillent par leur volonté de proposer plusieurs chemins et méthodes, l’approche « fine » étant souvent la mieux récompensée en point d’XP (à utiliser, très classiquement, pour booster les stats dans un arbre des talents étoffé – entre mage, hacker, corps à corps et fusilier -).
Ce qu’on apprécie dans cet effort d’ouverture, c’est qu’il permet de s’approprier vraiment son parcours d’un point A à un point B. Là où la campagne de Shadowrun Returns se bornait à enchaîner platement les situations de jeu, plaçant le joueur dans une passivité désimplicante, Dragonfall met à l’inverse l’accent sur la possibilité quasi-systématique de « contourner » la solution basique, présentée comme moins méritante (quelle qu’elle soit) par une solution plus élaborée, propre à notre perso et à nos choix , en ce sens, « bien à nous ».
Quant aux affrontements, ils se fondent toujours sur une base solide de stratégie au tour par tour, à la Fallout : les personnages et leurs ennemis jouent successivement leurs actions, entre déplacement, attaques diverses – simples ou spéciales, débloquées au fil du level-up – mais aussi buff et débuff, soins, recharge de l’arme, invocation ou lancer de grenades – on en passe… -, le tout via une barre de racourcis, ou bien via un tap sur le décor en cases (pour se déplacer). A ce titre, on apprécie une nouvelle fois le panel de choix étoffé par rapport au SR original – on peut désormais choisir les équipiers qui nous accompagnent en mission, entre nos « potes » scénarisés ou des PNJ-lambda.
Restent quelques limites héritées du jeu d’origine, comme le caractère très écrit et bavard de ces nouvelles aventures (en anglais uniquement), sur fond de décors ultra-statiques – faute d’un budget plus musclé -. Si l’on apprécie l’amélioration du système de sauvegarde (partout et presque tout le temps), l’interface reste en outre assez frustrante, empêchant notamment de gérer le stuff de ses équipiers de première main, comme s’ils n’étaient que prêtés pour les combats avant de se voir re-confisqués. Pour faire bonne mesure, on reconnaît en revanche que la réalisation accouche de décors en 2D isométrique plutôt fins, remplis de détails bien trouvés et esthétiquement plaisants, qui illustrent souvent avec brio cette longue aventure (plus de 30 heures pour en voir le bout), au parfum « roliste » enthousiasmant de bout en bout.
Conclusion
S’il ne conjure pas tous les défauts du Shadowun Returns original (aventure bavarde, décors et sprites « figés », pas de trad française), cet add-on en stand-alone qu’est Dragonfall propose une campagne meilleure en tout point : plus riche en options de jeu (entre l’intelligence et le bourrinisme), mieux dotée en personnages secondaires intéressants, mieux rythmée et toujours aussi fun en combat, le dernier titre de Harbrained Schemes est selon nous l’un des meilleurs jeux de rôle « à l’occidentale » disponible sur iOS, et le point de départ idéal pour rentrer dans l’univers Shadowrun. Vivement conseillé.